Le Théâtre du Centaure reste fidèle à un de ses choix importants, donner la parole à ceux qui souvent restent dans l’ombre : ici les femmes qui, même si elles luttent, risquent de ne pas être entendues. L’auteure australienne Suzie Miller, primée à plusieurs reprises, s’est attaquée en connaissance de cause (elle-même est une ancienne pénaliste) à un système judiciaire injuste quant au problème du viol, dans Prima Facie (2019, ‘Première impression’, traduction en français de Dominique Hollier et Séverine Magois), une pièce à succès, souvent récompensée.
Tessa Ensler, ayant réussi à surmonter les désavantages de son milieu modeste, sans toutefois renier ses origines, et à faire de remarquables études qui la mènent à devenir une avocate pénaliste connue, est spécialisée dans la défense d’hommes accusés d’agressions sexuelles. Elle travaille dans un cabinet réputé et est destinée à une brillante carrière. Puis retournement de situation : lors d’une nuit de bringue, la jeune femme se retrouve dans elle-même victime d’un viol. Elle voit alors son travail sous une perspective différente ; de gagnante, elle va devenir perdante. Elle va traverser le désert de beaucoup de femmes.
Le long monologue de Prima Facie embarque le spectateur à travers les étapes-clé du parcours de Tessa, interprétées avec brio par Céline Camara — en robe noire d’avocat ou en costume plus habillé — qui par sa présence, sa vivacité, sa mimique et ses gestes suggestifs montre d’abord son ascension fulgurante puis sa chute, dans la dignité.
Elle se déplace avec aisance dans la scénographie de Christian Klein (qui a signé aussi les costumes de circonstance), en ensemble austère et strict de plusieurs étagères en métal, déplaçables, une allusion au bureau d’avocat, où sont rangés dans des boîtes les dossiers des clients et des textes législatifs. Le tout prend un peu de couleur grâce aux éclairages discrets et variés d’Antoine Colla et à la présence vivace de la comédienne qui parfois ‘joue’ avec les étagères, en les déplaçant ou en s’y installant carrément.
La comédienne nous guide à travers les diverses étapes de vie de la protagoniste, en complicité avec la metteure en scène Marja-Leena Junker, premier spectateur et juge critique, qui veille au déroulement varié et significatif de l’ensemble bien rythmé, le jeu et le texte, étant mis en valeur discrètement par la création sonore de Laurent Peckels, qui souligne certains passages du monologue.
L’auteure Miller condamne, lors des procès pour viols, les contre-interrogatoires qui désavantagent les plaignantes, qui sous les effets du traumatisme suite au viol, risquent des confusions et des oublis dans ce qu’elles disent, ce que la partie adverse exploite. L’auteur plaide pour une meilleure protection des victimes d’une agression sexuelle et d’un viol.
Prima Facie, un spectacle engagé, bien conçu par une metteure en scène chevronnée et qui plaît beaucoup grâce au jeu sensible de Céline Camara.