Chroniques de l’urgence

Merci les étudiants de Vanuatu

d'Lëtzebuerger Land du 01.08.2025

La Cour internationale de Justice a adopté le 23 juillet un « avis consultatif » de portée historique qui affirme solennellement la responsabilité des États en matière de changement climatique et prévoit une obligation de réparations en cas de violation de leurs obligations. À l’origine de cette décision se trouve une initiative d’étudiants de Vanuatu, révoltés par la perspective de voir leur pays englouti par le Pacifique dans l’indifférence générale. Il y a six ans, ils demandaient à la Cour, la plus haute juridiction de l’ONU, d’interpréter l’ensemble de lois et statuts applicables à la problématique climatique. Rejoints par de nombreux États, dont une coalition d’États mélanésiens dite « Fer de lance », et organisations internationales, ces étudiants ont assurément réussi leur coup. L’avis de la CIJ est certes consultatif, mais, adopté à l’unanimité des quinze membres de la Cour présidés par Yuji Iwazawa et rédigé en des termes implacables, il est susceptible de devenir, au fil des ans, une jurisprudence aussi fondamentale que bienvenue pour toutes les actions en justice ayant trait à la crise climatique.

27 étudiants en droit peuvent se targuer d’être à l’origine de cet avis. Inscrits à l’Université du Pacifique Sud, ils ont eu l’idée de mettre le tribunal de La Haye au défi de se prononcer sur la responsabilité des États à l’égard du réchauffement. Forts de leurs connaissances juridiques, ils avaient déjà rédigé un mémo à cet effet lorsque, « nerveux » et « tirés à quatre épingles », selon le témoignage de l’un d’entre eux au Guardian, ils sont allés voir Ralph Regenvanu, qui était alors ministre des Affaires Étrangères de l’archipel, pour défendre leur projet.

Trouvant l’idée très bonne, celui-ci s’est alors engagé à la mettre à l’agenda international. Après avoir constitué une alliance étendue, notamment avec d’autres États concernés par la montée des eaux, dans le Pacifique mais aussi aux Caraïbes, il a réussi à faire adopter en septembre 2022 par l’Assemblée générale de l’ONU une résolution posant deux questions à la CIJ : celle des « obligations des États en matière de changement climatique », autrement dit des instruments juridiques applicables, et celle des « conséquences juridiques des actions ou omissions d’États à l’origine de dommages significatifs au système climatique et à d’autres composantes de l’environnement ».

La réponse de la Cour tient en 133 pages. Elle s’appuie sur la Convention-cadre des Nations Unies sur le changement climatique, l’Accord de Paris et d’autres textes ayant trait au climat ou à l’environnement, mais aussi, et c’est là sans doute un des grands mérites de cet avis, sur les traités internationaux relatifs aux droits de l’homme, dont la Déclaration universelle. Partant du principe que les changements climatiques ont des effets néfastes sur la jouissance des droits de l’homme, dont le droit à la vie, à la santé, à un niveau de vie suffisant, des droits des femmes, des enfants et des peuples autochtones, elle établit un lien fondamental entre ces deux pans du droit international.

L’accueil réservé à cet avis suggère qu’il est appelé à devenir un jalon significatif. Sa portée est mondiale, car il s’applique aussi aux États qui ne sont pas signataires des traités de l’ONU. Les parlementaires, les juges et les avocats peuvent s’en saisir pour étayer ou modifier des lois, ou pour attaquer en justice les États pour leur inaction climatique. Car l’avis lève toute ambiguïté sur leur responsabilité à cet égard, évoquant « un fait internationalement illicite engageant » leur responsabilité lorsqu’ils violent leurs obligations en matière de climat. Quant au « lien de causalité entre actions ou omissions d’un État », s’il est « plus ténu que lorsqu’il s’agit d’une pollution ayant des origines locales, il n’est cependant pas impossible à établir », opine la CIJ, qui précise qu’il « s’agira simplement d’apprécier et d’établir ce lien de causalité in concreto dans chaque cas ».

L’avis de la CIJ peut parfaitement être invoqué aux États-Unis, même s’ils ne reconnaissent pas la Cour. Certes, avec une Cour suprême qui laisse aujourd’hui passer la plupart des actes autoritaires de Donald Trump, se servant notamment du « shadow docket » pour lui donner au fil de l’eau des blancs-seings non motivés, cette perspective peut aujourd’hui paraître illusoire. Elle peut néanmoins s’avérer très réelle à l’avenir, dans une autre configuration politique, et ce d’autant plus que l’établissement d’un lien de causalité y serait dans bien des cas plus faciles que dans d’autres pays.

Il est rafraîchissant qu’une action partie d’un archipel de 300 000 habitants, aux premières loges des impacts du réchauffement mais loin de tout, ait débouché sur cet avis de la CIJ, que le secrétaire général de l’ONU a qualifié de « victoire pour [la] planète, pour la justice climatique et pour la capacité des jeunes à faire bouger les choses ».

Jean Lasar
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