L’observateur inattentif qui entend les envolées lyriques de Donald Trump et de ses acolytes sur l’âge d’or à venir des énergies fossiles et les prend pour de l’argent comptant risque un réveil brutal. La même chose risque d’arriver lorsqu’il voit, en décembre dernier, de grandes banques américaines comme JPMorgan Chase, Bank of America, Wells Fargo, Citigroup ou Goldman Sachs quitter la Net Zero Bank Alliance, tournant ostensiblement le dos à leurs engagements climatiques, et suppose naïvement qu’elles savent ce qu’elles font.
En réalité, les énergies renouvelables restent bel et bien en plein essor de par le monde, y compris aux États-Unis, aidées par les prix en chute libre des équipements nécessaires à leur capture.
L’argument que l’on entend invariablement dans ce contexte est celui du charbon brûlé en quantités affolantes en Chine. On dénonce alors l’hypocrisie supposée de la plus grande puissance manufacturière mondiale, qui inonde la terre entière de panneaux photovoltaïques vendus en-dessous de leur prix de revient tout en continuant de miser sur le pire des combustibles fossiles. Or, là aussi, les lignes bougent.
Au premier trimestre de cette année, la génération d’électricité à base de charbon a chuté d’environ 4,7 pour cent en Chine par rapport au 1er trimestre 2024 alors que l’offre réseau d’électricité n’a décliné que de 1,3 pour cent et que la demande d’électricité a, elle, avancé de 1 pour cent. Des chiffres que la publication CleanTechnica a interprété comme « un virage clair et structurel ».
Scrutant plus avant les statistiques, CleanTechnica relève que la légère baisse de l’offre réseau correspond à des mois de janvier et février plus doux que d’habitude et que la baisse de la combustion de charbon ne s’explique donc pas par une baisse de l’activité économique ou d’utilisation de l’électricité, mais plutôt par « des transformations sous-jacentes de l’approvisionnement en électricité de la Chine ».
En même temps, la consommation de charbon par la sidérurgie chinoise a progressé de deux pour cent, en phase avec une augmentation de la production d’acier, dont les exportations ont crû de six pour cent. La sidérurgie chinoise évolue « de manière graduelle mais significative » vers la technologie des fours électriques, qui recyclent les 260 à 280 millions de tonnes de ferraille domestique, se détournant progressivement des hauts-fourneaux qui utilisent du charbon pour transformer le minerai de fer en acier.
Pour comprendre ces chiffres quelque peu paradoxaux, alors que l’activité économique est restée soutenue en Chine au premier trimestre, CleanTechnica pointe la « croissance explosive » que connaît ce pays en matière d’énergie solaire générée et consommée localement, à partir de ce qu’on appelle les systèmes photovoltaïques « behind-the-meter ». Rien qu’en 2024, la Chine a ajouté quelque 120 gigawatts de capacité solaire distribuée, portant le total cumulé à 370 GW, selon son agence nationale de l’énergie. Cette croissance devrait se poursuivre au premier semestre, la capacité installée devant se chiffrer à 430 GW d’ici fin juin. Une capacité « cachée » qui n’apparaît ni dans la consommation des ménages ou entreprises, ni dans les statistiques classiques, qui ne prennent en compte que les capacités de génération d’électricité centralisées.
L’essor s’explique en grande partie par un programme qui impose aux développeurs de placer des offres pour équiper l’ensemble des toits d’un district, à raison de cinquante pour cent pour les édifices gouvernementaux, quarante pour les institutions publiques, trente pour les toits d’entreprises commerciales et industrielles, et vingt pour les maisons situées à la campagne. Ce sont les dizaines de térawattheures générées par ces nouvelles installations qui expliquent l’apparent paradoxe d’une baisse de l’utilisation de charbon alors que la demande d’électricité a augmenté.
C’est donc bel et bien une remarquable transition vers l’énergie renouvelable qui s’opère en Chine, qui exporte, certes, d’énormes quantités de panneaux photovoltaïques, mais qui en installe aussi massivement chez elle. En regardant ailleurs, on note que d’autres pays, s’ils ne sont pas eux-mêmes producteurs de systèmes photovoltaïques, ne sont pas en reste pour ce qui est d’en installer. Ceux que le Pakistan a importés pour la seule année de 2024 sont capables de générer 22 gigawatts : davantage que la capacité installée totale du Canada, et davantage que ce que le Royaume-Uni a ajouté en cinq ans.
La même année, les Etats-Unis ont installé cinquante gigawatts de nouvelles capacités photovoltaïques – de quoi fournir en électricité 8,5 millions de ménages. Le Texas en particulier, malgré son interminable histoire d’amour avec le pétrole, s’est distingué en s’équipant d’équipements d’énergies renouvelables en très grandes quantités. Craignant sans doute que cela finisse par se voir à Washington, la direction républicaine de l’État se prépare, à parfait rebours de la libre concurrence qu’elle adule tant, à exiger qu’à partir de janvier 2026, un mégawatt de gaz soit installé pour chaque mégawatt de solaire, d’éolien ou de stockage construit. Rien ne révèle mieux que cette tentative désespérée de privilégier les énergies fossiles qu’elles sont, quoi qu’en disent Trump, Poutine ou MBS, inéluctablement condamnées.