Dans le tourbillon des décisions prises ces derniers jours à la Maison Blanche, mélange imprévisible et glaçant d’ineptie, d’ignorance et de cruauté, celles qui visent à affaiblir voire à annihiler tout ce qui touche à la science sont peut-être les plus révélatrices de ce qui anime l’administration Trump. L’annonce faite cette semaine d’un démontage complet du département recherche et développement de l’Agence fédérale de protection de l’environnement (EPA), avec le licenciement de quelque 1 155 chimistes, biologistes, toxicologues et autres scientifiques, si elle n’est pas la plus spectaculaire des récentes mesures du gouvernement américain, a néanmoins le mérite de planter avec une perfection rare le décor de l’abîme dans lequel les États-Unis s’enfoncent sous nos yeux.
Zoe Lofgren, une démocrate membre de la Commission des sciences de la Chambre des représentants, a dénoncé une amputation qui empêcherait l’agence d’effectuer sa mission puisque celle-ci prévoit l’obligation de s’appuyer sur les meilleures connaissances scientifiques disponibles pour définir ses règles et politiques. Elle a rappelé que la première administration Trump avait déjà déployé des efforts pour affaiblir la recherche de l’EPA et du même coup les réglementations relatives aux industries polluantes ; « ceci est maintenant leur tentative de la tuer pour de bon », s’est-elle indignée.
L’EPA a été créée en décembre 1970 par Richard Nixon, c’est-à-dire par un président républicain appartenant à l’aile droite de son parti. Son ordre exécutif, ratifié par le Congrès, reflétait un sentiment croissant au sein de la population américaine que l’activité humaine entraînait des dégâts environnementaux excessifs, qu’il fallait d’urgence limiter à travers un arsenal législatif contraignant géré par une agence spécialisée. Encadrée par des « statutes » adoptés par le Congrès, l’EPA a au fil des ans développé plusieurs dizaines de programmes qui cherchent à garantir un air respirable aux Américains (Clean Air Act), à préserver la biodiversité, notamment celle des cours d’eau et lacs, à protéger les communautés défavorisées les plus touchées par les industries polluantes, à restaurer les sites industriels pollués, etc.
En 2023, l’agence employait quelque 16 000 personnes. Son nouvel administrateur, Lee Zeldin, a annoncé qu’il comptait réduire son budget de 65 pour cent : son oukase relatif au département de recherche n’est qu’une fraction de son plan de coupes radical. S’il faut reconnaître un mérite à cet avocat climatosceptique et fervent tenant de la dérégulation, c’est celui de la franchise. Il a indiqué explicitement vouloir démanteler la plupart des protections garanties par l’EPA, y compris celles relatives aux émissions de suie et de mercure. Pour lui, la raison d’être de l’agence ne doit plus être de « protéger la santé humaine et l’environnement », mais de « réduire ce qu’il en coûte pour acheter une voiture, chauffer une maison, gérer une entreprise ».
Pendant longtemps, l’EPA s’est tenue à l’écart du changement climatique. Que ce soit par autocensure ou en réponse à des pressions des administrations républicaines, l’agence s’est interdit d’inclure la problématique parmi celles menaçant la santé et le bien-être publics. Lorsque l’administrateur de l’EPA, Stephen Johnson, a choisi en 2007 d’approuver un document mentionnant les périls liés au réchauffement et de l’envoyer à la Maison Blanche, celle-ci a exigé qu’il le reprenne, plutôt d’en faire un document officiel. Ce n’est qu’en janvier 2011 que le changement climatique allait être intégré formellement au périmètre du Clean Air Act, ce qui ouvrait la voie à des réglementations sur les émissions de gaz à effet de serre, notamment par le biais de limites posées aux gaz d’échappement admissibles des voitures et camions.
Bien que la mise en place des programmes de l’EPA eût été âprement disputée devant les tribunaux, au Congrès et dans les États, en particulier sous l’influence de la Californie bien décidée à aller de l’avant, les tiraillements de cette époque ressemblent à des escarmouches par rapport à l’offensive dévastatrice en cours aujourd’hui. Comme pour beaucoup des coups de massue portés aujourd’hui par la Maison Blanche aux administrations fédérales, au mépris de la Constitution qui réserve au Congrès la prérogative de leur allouer des moyens financiers et de décider de leur avenir, le destin de l’ORD (Office of Research and Development) de l’EPA se jouera sans doute devant les tribunaux, y compris la Cour suprême. L’illégalité de la plupart des coups de rabot des membres de l’administration et de l’équipe de saboteurs emmenés par Elon Musk ne faisant guère de doute, c’est donc en définitive la résilience du pouvoir judiciaire dans l’équilibre constitutionnel étatsunien qui est testée à cette occasion.
Il est navrant de voir une nation enviée dans le monde entier pour la qualité de sa recherche scientifique déconstruire ainsi délibérément cet atout, sous la pression conjuguée d’entreprises des énergies fossiles et d’apprentis sorciers fascistes. De toutes les formes de vérité, celles qui relèvent de la science sont les plus résilientes face à l’intox et la propagande. Pour en venir à bout, la seule méthode vraiment efficace consiste à « tuer le messager ». Mais la ficelle est grosse. Au point que l’on est en droit d’espérer qu’un nombre suffisamment élevé d’Américains s’apercevront à temps qu’on est en train de leur voler leur avenir et qu’il leur reste une chance, si ténue soit-elle, de s’organiser pour mettre fin à cette sinistre farce.