Le Cercle Cité offre à Clément Minighetti, fort de sa longue expérience comme commissaire d’expositions au Mudam, de présenter un sujet d’actualité et essentiel pour l’avenir sur terre des hommes, des animaux et de la végétation : la forêt.
L’exposition La forêt. Solitudes et solidarités comprend un nombre limité d’œuvres, mais leur choix est très pertinent. Elles ont toutes quelque chose à dire au visiteur sur la place des arbres dans l’Histoire et racontent les liens de plasticiens d’aujourd’hui avec les espaces boisés. Au fil du temps nous, les êtres humains, avons entretenu une relation particulière avec eux et devrions continuer aujourd’hui : des forêts urbaines sont plantées en urgence dans des grandes villes pour ombrager les places minérales.
L’exposition commence et se termine par deux œuvres qui évoquent, l’une la position que les arbres ont occupée dans le passé, l’autre, la démonstration scientifique actuelle de la communication des plantes entre elles. La sélection de Minighetti de ces deux œuvres est très judicieuse. Le tour du grand cycle des plantes sur terre commence ainsi par une œuvre à la fois « antique » et « post-moderne », avec les deux « colonnes » de Dreamer de Martine Feipel et Jean Bechameil (céramique vernissée, 2025). Elles rappellent que dans les temps très anciens l’arbre était un objet de vénération et de culte.
Cependant l’expression de Feipel et Bechameil est contemporaine, presqu’abstraite et on lit parfaitement le tronc et les branches d’un arbre, voire les excroissances qui se greffent sur lui. À l’opposé de cette proposition de totems « éternels », en point d’orgue de l’exposition, Clément Davout et Léo Fourdrinier, proposent une expérience que la science a révélé récemment : les plantes communiquent entre elles. Des fougères provenant des parcs de la capitale, sont équipées d’électrodes, donnant à l’installation un aspect futuriste. Or, on a la preuve que les fougères partagent un langage commun, aussi « respectable » et important que le nôtre. Il est enregistré par les capteurs et rendu audible par la transcription d’un programme ordinateur à écouter au casque. L’expérience auditive révélée grâce à la science la plus pointue puise, comme Feipel et Bechameil, dans le lien entre antiquité et modernité : les fougères sont des « dinosaures » végétaux arrivés jusqu’à nous. Elles font partie des plantes pionnières de la Terre.
Le concept de l’exposition La forêt. Solitudes et solidarités étant défini par Minighetti, on peut entamer une visite de la démonstration des plasticiens contemporains qu’il a choisis pour visualiser les liens qui nous unissent à la forêt. Il y a les bienveillants, comme Keong-A Song pour qui la forêt accueille peut-être des espèces mutantes, dans Nouveaux arrivants dans la forêt de bouleaux, (2021) sur qui veille une déesse, Goddess of forests, (2015). Les deux aquarelles sont à l’opposé des contes, comme ceux de Perrault, des frères Grimm, qui faisaient peur aux enfants.
Aline Forçain se situe entre les deux attitudes. Elle peint la forêt comme une masse indistincte de couches successives (Layer, variation, 2021). L’usage de la peinture à l’huile rend l’épaisseur de la forêt, qui nous ferait tout de même hésiter à y entrer ou pas, même si le ciel est clair et que dans la manière de peindre d’Aline Forçain, s’insinuent des plages lumineuses, dédramatisantes. Dans la même veine picturale « tachiste », Sandra Lieners, montre qu’elle s’est régénérée avec l’espace extérieur aux feuillages colorés qu’elle voyait, floutés derrière sa vitre durant le Covid. L’accrochage en coin de 37,5°NE renforce habillement le cadrage d’une pièce à vivre avec sa fenêtre.
La surprise vient d’Alexandra Uppmann. La jeune femme étant d’origine finnoise-luxembourgeoise et de langue suédoise, on peut dire sans mièvrerie que cette triple identité de pays où la forêt est reine, influence sa relation à la fois respectueuse et proche aux arbres. Le visiteur regarde fasciné sa technique pointilliste qui donne corps avec une incroyable minutie à une lisière feuillue ou sylvestre et les titres correspondent à ce « stippling » au marqueur : Home is Where the forest is (2020) et Au nom de la forêt (2021).
L’installation centrale de l’exposition est conçue par Valentin Van Der Meulen spécialement pour l’endroit. Au fur et à mesure de l’exposition, s’égoutteront depuis des poches de couleurs comme les perfusions en milieu hospitalier, sur toutes sortes de représentations humaines pas nécessairement à notre avantage, égotiste, consommateur sans scrupules jusqu’à l’homme loup pour l’homme. Sur ces images et le sol, où l’on devine l’aura de la végétation sous-jacente, mêlée dans le papier que l’artiste a créé pour son installation, la nature révélera au fur et à mesure ses Parures (2025) colorées, bienfaisantes et réparatrices, voire supérieures à la vanité humaine.
Cette œuvre « active », est suivie par l’activisme revendiqué de Bert Theis (1952-2003). La projection de la vidéo diptyque Fuad Labord (2003), propose un survol de la ville comme une maquette d’architecture qui n’est jamais réaliste à vol d’oiseau. Cependant, filmées à hauteur d’œil, les hautes herbes font ressentir l’avancée du corps qui les traverse, dans la friche urbaine Isola dont Theis revendiquait la sauvegarde à Milan. Ceux qui ont connu l’artiste dans sa résistance à un projet de gentrification et de bétonnage dans un quartier populaire, y compris dans son authenticité végétale, comprendront d’autant mieux Paradise Lost (2013), de Serge Ecker.
Bien sûr, Luxembourg a la Pétrusse qui est un de ses poumons verts. Mais Ecker dénonce la place financière et rêve que cette période d’avidité soit vaincue par une végétation de jungle sauvage. Ces deux visions politiques d’il y a maintenant plus de dix ans, on en rêve aujourd’hui au sens de la lutte écologique pour le verdoiement vital de la capitale. Aussi, pour clore le tour de l’exposition, qui alerte sur le nécessaire rapprochement des espaces des villes et de la bonne compréhension de l’usage du végétal à l’ère du réchauffement climatique avéré, nous partons, avec Letizia Romanini, Ënnerwee (2023). Cette progression au rythme du pas, sur des sentiers qui suivent les frontières boisées et herbues du Grand-Duché, ouvrent, au sens propre des perspectives.