Laure Roldàn sera à Avignon pour une lecture de ses textes. Portrait d’une comédienne qui écrit et d’une autrice qui joue

« Je vois ma vie en écriture »

d'Lëtzebuerger Land vom 04.07.2025

Franco-espagnole, Laure Roldàn est née à Madrid, puis, a grandi et a fait ses débuts de jeune première à Luxembourg, pour filer vers la capitale française et devenir comédienne, femme et mère. Formée au Conservatoire national supérieur d’art dramatique de Paris, elle a depuis « fait carrière », comme disent certaines, sous la bénédiction des dieux du théâtre. Pour Laure Roldàn tout s’est enchaîné avec un grand naturel. Alors qu’elle fait s’embraser les scènes européennes par son énergie artistique, elle devient à la fois actrice, metteuse en scène et enfin autrice. Elle excelle dans chacun de ces statuts et formalise des projets qui traitent des thématiques de l’exil et de l’appropriation d’une culture par la langue. Pourtant, après deux décennies, le succès trouvé, elle connait toujours ce fameux trac, fidèle aux artistes généreux qui se construisent non dans l’égo, mais dans la remise en question.

En tant que comédienne, Laure Roldàn a connu de grands moments de scène. Elle se souvient de Ordet de Kaj Munk, sous la direction de Arthur Nauzyciel qui l’emmène sur les scènes du Festival d’Avignon et de Festival d’Automne à Paris. Côté mise en scène, elle note Voilà donc le Monde ! d’après Balzac avec laquelle Laure Roldàn est finaliste du concours jeunes metteurs en scènes au théâtre 13 de Paris ou Dolce inferno, inspirée de la Dolce Vita de Fellini dans le cadre du Talent LAB, en 2017. En 2015, Gaëtan Vassart adapte Anna Karénine – les bals où on s’amuse n’existent plus pour moi, avec Golshifteh Farahani dans le rôle-titre. Cette première collaboration mènera plus tard à la création de Petit frère, la grande histoire Aznavour, d’après Aïda Aznavour dans le cadre des Capucins Libre, qui sera repris en tournée en France et en Arménie et représentera le Luxembourg au Festival d’Avignon en 2023.

La même année, elle intègre le Gueuloir, collectif d’auteurs et d’autrices dramatiques qui l’adoube « autrice dramatique ». Le marqueur pour qu’elle s’inscrive concrètement dans l’écriture en tant qu’autrice viendra en janvier 2024, lors d’une résidence à la Kulturfabrik, durant laquelle elle entame le projet Le bonheur, une création au plateau autour du film d’Agnès Varda. « Un bal de couples, une fugue, des variations amoureuses, une palette de moments, des réveils et des endormissements, des regards superposés sur la place de la femme et l’ancrage de l’homme », explique-t-elle alors.

L’écriture est venue petit à petit. Laure Roldàn travaille d’abord des adaptations de textes, des collages. Elle est une grande lectrice. « J’aime passer ma vie dans les livres. Le théâtre m’est venu par la lecture. Je me nourris de livre qui passent ensuite dans mon corps et sur la scène. C’est extraordinaire de voir un livre prendre vie sur scène. Là est le pouvoir du théâtre ». De l’impossibilité d’obtenir les droits du côté d’Agnès Varda, elle révise son projet de création : « J’ai traduit l’idée de comprendre comment un couple s’effrite dans la vie de tous les jours. Je crois que mon envie d’écrire est partie de là ». Déjà, avec son spectacle Petit frère, la grande histoire Aznavour, elle montrait les premiers signes d’envie d’écriture, mais ils ne revêtaient que les traits d’une adaptation, « là tout à coup je me suis affranchie et je me suis dit, que je pouvais dire moi-même ce que j’avais à dire. Ça a été une liberté », raconte Laure Roldàn, comblée

Un champ s’ouvre, et elle s’émeut de ce qu’est l’écriture : « Faire naître des personnages, des situations, une histoire uniquement par tes mots, par des lettres qui se mettent les unes à côté des autres sur un papier, c’est complètement bouleversant », se réjouit-elle. Maintenant, dans son rapport à la vie en tant que telle, tout pour elle est devenu écriture, « je prends le bus, je vois une scène… J’ai envie d›écrire, des sensations... Je vois des arbres, j’ai envie de les écrire. J’entends des dialogues, j’ai envie de les écrire... Depuis près de deux ans, je vois ma vie en écriture ».

Si l’écriture ne se révèle que tardivement, les signes étaient bien là. Comme au Liban, où elle participe en 2021 à la pépinière de la Commission internationale du théâtre francophone à Hammana. Elle y rencontre des artistes avec lesquels elle travaille au projet Les murs parlent. « Il s’agissait d’une écriture à plusieurs mains. C’était différent, mais c’est vrai que ça m’a bien mis les pieds à l’étrier, de prendre le réel du Liban et de l’écrire ».

Le concret vient ensuite. En décembre 2024, elle participe à un « RDV Stammdësch », projet de résidence en territoire du collectif Le Gueuloir, sur la frontière franco-luxembourgeoise à Thill. « Ça a été un moment très important pour moi en tant qu’autrice ». Laure Roldàn doit concevoir un texte avec le réel qui l’entoure. Des témoignages, lectures, musiques qu’elle peut absorber sur place, elle tire un récit Pas plus tard que récemment, qui aborde la mémoire des « Rodina » de Thill, 37 prisonnières et résistantes soviétiques qui sont venues travailler de force ici dans l’ancien camp de concentration. « L’écriture rassemble tout et sans même que tu t’en rendes compte tu es comme traversée par d’autres écritures ».

« L’écriture offre des moments de grande solitude. Je n’étais pas prête à aborder cela il y a quelques années ». Aujourd’hui, une maturité trouvée, elle s’y adonne sans aucune souffrance, malgré les injonctions qu’elle regroupe, « il y a la fatigue de l’écriture, mais aussi et surtout, il y a ce que font les gens de tes écrits. Au théâtre tu as un rapport frontal au public. Ce que tu écris, tu ne sais pas ce que ton lecteur en fait ou en pense ». Le livre en tant qu’objet a en effet une vie en dehors de son auteur, « c’est presque comme faire maternité. Et tu ne sais pas quelle vie il aura, s’il va rester dans une bibliothèque pendant vingt ans et ressusciter vingt ans plus tard ».

Ainsi, de sa découverte de Marguerite Duras à quatorze ans, une autrice qui change sa vie : « Je me suis rendu compte que les mots sont matière », à la déclinaison de sa propre écriture de nombreuses années plus tard, en passant par l’influence de son père traducteur sur le langage et les mots, « il nous a toujours dit que quand tu joues avec les mots, tu dois tu dois plier la langue », Laure Roldàn, dorénavant, écrit, elle est autrice. « J’écris avec les images et j’écris beaucoup avec le corps parce que je suis comédienne. Écrire, c’est se mettre dans un autre corps ».

Récemment à Neimënster, Laure Roldàn s’est plongée dans une autre résidence d’écriture, pour déloger un propos féministe autour de la figure de Blanche Neige, et comment ce genre de récits, « libèrent, façonnent ou consolent en nous, adultes comme enfants, et de quelle manière ils construisent la place de la femme dans la société », explique-t-elle. Elle amorce l’écriture de À travers la forêt, le voyage initiatique d’une petite fille figée dans l’enfance, qui se confronte à l’angoisse du corps qui change. « C’est une pièce en miroir entre la mère et la fille. Mais je vais d’abord développer le personnage de la fille qui n’arrive pas à grandir et qui se confronte à un miroir. Une sorte de conte pour apprendre à devenir femme ou en tout cas se questionner de qu’est-ce que c’est que de devenir femme ».

Laure Roldàn présentera ce nouveau projet le 20 septembre, dans le cadre de la Nuit de la culture d’Esch-sur-Alzette, avec la comédienne luxembourgeoise Christine Muller. « En l’état, ce sera une déambulation à travers la forêt. Ensuite, je rêve d’une résidence à la Chartreuse ou à la Cité du mot pour terminer le texte ». Pourtant, entre temps en tant que metteuse en scène, elle replonge dans un projet avec l’auteur-compositeur Camille Rocailleux, avec qui elle avait développé Les bancs publics. Elle finalise également Les murs parlent, résultat de récoltes de témoignages et d’explorations sur les murs et leurs variations oniriques, un projet en première au Théâtre National de Luxembourg en octobre.

Enfin, cette année à nouveau elle représentera le Luxembourg au Festival d’Avignon en emmenant son texte Nuit sans fard, à l’invitation du collectif Le Gueuloir, au Souffle d’Avignon, un cycle de lecture. Le texte qui décrit une histoire d’amour qui s’effrite, et le couple qui s’effondre, sera mis en voix le 10 juillet au Palais des Papes, avec Sophie Langevin et Denis Jousselin. Elle espère en faire une pièce par après. L’aventure se poursuit pour l’artiste de scène officiellement « primo-écrivaine ».

Godefroy Gordet
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