L’Autriche et le Luxembourg mènent, à contre-courant, un combat judiciaire contre le nucléaire. Un nouvel épisode est attendu devant le Tribunal de l’UE la semaine prochaine

Don Quichotte et Sancho Panza

Le Luxembourg  tient principalement son opposition  au nucléaire à la proximité de l’indésirable centrale de Cattenom
Foto: Sven Becker
d'Lëtzebuerger Land vom 25.11.2022

Contre le nucléaire, Autriche et Luxembourg même combat. Mais une fois de plus les vents sont contraires. Après avoir essuyé un échec sur le dossier de la centrale nucléaire d’Hinkley Point et à la suite d’une question que les juges européens leurs avaient posée en cours de procédure, les deux États n’ont que peu d’espoir sur leurs chances de succès dans leur recours dans le dossier nucléaire Paks II dont on attend le verdict le le 30 novembre prochain au Tribunal européen. En cause, les aides d’État prévues par la Hongrie pour l’extension de sa centrale nucléaire à Paks. Désigné sous l’appellation Paks II, ce projet d’extension est entièrement financé par l’État hongrois, avec en sous-main, un prêt public russe, une facilité de crédit renouvelable de dix milliards d’euros entièrement dédiée audit projet. La Russie a désigné la société anonyme Nizhny Novgorod Engineering Company Atomenergoproekt (JSC NIAEP) pour la construction des deux nouveaux réacteurs. Les aides d’État à l’industrie nucléaire, c’est le chiffon rouge agité devant les yeux des opposants à ce type d’énergie, surtout si ces aides sont autorisées en violation des règles du traité Euratom et des directives y afférentes. C’est la thèse des deux pays de l’UE que sont l’Autriche soutenue par le Luxembourg, deux gouvernements bien isolés sur la scène judiciaire européenne.

Comme il se doit à chaque fois qu’un gouvernement de l’Union accorde des aides d’État, la Hongrie avait notifié les siennes à la Commission européenne, laquelle devait donner son feu vert. Le gouvernement hongrois l’avait assurée que ces aides étaient conformes aux règles du Traité de l’UE. En principe illégales, les aides d’État ne sont autorisées qu’à certaines conditions comme celle de promouvoir la réalisation d’un projet européen, ce que le Luxembourg et l’Autriche ont toujours contesté vu l’opposition au nucléaire qu’ils décèlent dans d’autres pays de l’UE. La Commission a donné son feu vert et autorisé ces aides compatibles, dit-elle, avec les Traités européens. L’Autriche a contesté cette décision devant le Tribunal en 2015 puis devant la Cour de justice, en appel, en 2018. Luxembourg l’a soutenue. En face d’eux, dans le prétoire, la Commission européenne. Celle-ci maintient le bien-fondé de sa décision. La Commission est soutenue par quatre pays de l’UE et par le Royaume- Uni, bénéficiaire d’une autorisation à verser des aides d’État à EDF pour sa centrale d’Hinkley Point, du temps où il était encore dans l’UE. On retrouve ainsi la France, dont le président Emmanuel Macron a déclaré récemment vouloir aller « encore plus vite » dans la construction de six nouveaux réacteurs EDF. La République Tchèque, associée à la démarche, n’a eu qu’à se féliciter de la manière dont la Commission et les juges européens ont rejeté la plainte de l’Autriche au sujet des activités de sa centrale tchèque de Temelin qui a pourri la vie des Autrichiens. La Slovaquie, là aussi, poursuit tranquillement son programme nucléaire en annonçant en septembre dernier la mise en exploitation de l’unité 3 de sa centrale nucléaire de Mochovce. Puis figure enfin la Hongrie, la principale intéressée. Tous ont des intérêts contraires à ceux de l’Autriche et du Luxembourg. Sa ministre de l’Environnement, Carole Dieschbourg, avait expliqué lors d’une rencontre avec son homologue Elisabeth Köstinger, qu’il était important de freiner la renaissance de l’énergie nucléaire en faisant en sorte que l’argent public ne puisse pas y être investi.

L’histoire de l’Autriche, en tant que fer de lance de l’opposition au nucléaire dans l’UE, se résume à une série d’échecs judiciaires. Les arrêts rendus par la Cour de justice et le Tribunal européen, qui juge en première instance, ont tous été pris en sa défaveur. Ainsi, en 2009, la Cour européenne brisait tous les espoirs du Land Oberösterreich de faire cesser les nuisances provenant de la centrale frontalière de Temelin à soixante kilomètres de la frontière autrichienne. Cette centrale avait empoisonné les relations entre l’Autriche et la République tchèque et, partant, les négociations d’entrée des Tchèques dans l’Union européenne pour 2004. La mise aux normes européennes avait été laborieuse, les défaillances et incidents nombreux, les manifestations de rue virulentes. De fait, à la suite d’incidents sérieux justifiant une enquête de la Commission européenne, le Land de Haute Autriche avait demandé à la Cour de justice de l’UE de faire cesser des activités de la centrale eu égard aux risques encourus. La Cour leur avait refusé cette requête, en partie au nom de l’équivalence européenne des autorisations d’exploitation d’installations dangereuses, celle délivrée par les Tchèques à Temelin répondait forcément aux critères européens sur la sécurité. Un arrêt taillé pour répondre aux particularités autrichiennes. Le Land Wien a aussi fait chou blanc lorsqu’il a demandé (en vain) à la Commission européenne l’accès à des documents concernant les travaux pour la construction des unités 3 et 4 de la centrale de Mochovce qui l’inquiétait. Les juges européens ont confirmé la légalité de ce refus. Et enfin il y a eu l’affaire Hinckley Point qui a défrayé la chronique en raison des conditions jugées douteuses dans lesquelles la Commission avait autorisé les Britanniques à accorder des aides d’État à EDF pour la construction d’ Hinkley Point.

Un arrêt dans ce dossier a été rendu par la Cour de justice en septembre 2020. Les juges y rejettent les arguments du gouvernement autrichien, lequel était aussi soutenu par le Luxembourg. Les deux pays estiment que si, en l’absence de règles sur les aides d’État dans le Traité Euratom, la Commission européenne avait utilisé celles prévues dans le traité de l’UE pour autoriser les aides Britanniques, elle devait appliquer toutes les règles du traité de l’Union y compris celles concernant l’environnement, les principes de protection de l’environnement, de précaution, du pollueur payeur et de durabilité. Réponse négative de la Cour de justice. Selon cette dernière, cette approche aurait pour effet d’entraver la liberté des États membres de choisir leur bouquet énergétique dans lequel figure l’énergie nucléaire. Jacques de La Palice n’aurait pas dit mieux !

Le Tribunal européen avait suspendu ses travaux sur le dossier Paks II pour attendre l’issue de l’arrêt Hinkley Point en pourvoi devant la Cour de justice. Les arguments des uns et des autres, d’une rare complexité au demeurant, étaient en grande partie les mêmes dans les deux affaires, si l’on en croit la réponse du Luxembourg à une question écrite du Tribunal dans laquelle les juges demandaient si l’arrêt Hinkley Point répondait en tous points à ses arguments soulevés dans PAKS II (à l’exclusion de celui consistant à reprocher à la Hongrie d’avoir attribué le marché à une société russe sans appel d’offre, argument que la Commission a déjà balayé !). Les juristes du gouvernement ont alors développé des considérations juridiques très techniques. Selon des experts consultés, il n’y a pas là matière à penser que l’arrêt du 30 novembre prochain donne raison aux deux États membres et annule les aides à Paks II.Le tribunal a d’ailleurs confié le dossier à une chambre à trois juges, formation utilisée dans des affaires aux enjeux minimes.

Si le Tribunal valide l’autorisation de l’UE aux aides hongroises, la Hongrie pourra aller de l’avant sauf, bien sûr, si l’UE décidait d’étendre ses sanctions au secteur du nucléaire comme cela a été évoqué… une idée à laquelle la Hongrie s’oppose. Sur un plan plus général, les aides d’état sont donc désormais autorisées à des conditions européennes très assouplies par la Cour, ce que redoutait Carole Dieschbourg, et ce qui ne fait pas non plus l’affaire des producteurs d’énergie verte qui y voient une concurrence déloyale sur le marché de l’électricité. Alors certains se demandent : À quoi sert-il que l’Autriche et le Luxembourg se décarcassent ? Les dés sont jetés, voire pipés pour d’autres. Pugnace, l’Autriche, soutenue encore par le Luxembourg, entame un nouveau combat. Elle vient de demander au Tribunal européen l’annulation de la décision « taxonomie » de la Commission, celle qui inclut le nucléaire (et le gaz) dans la liste des énergies vertes.

Cette fois-ci, ils auront un allié non négligeable : Greenpeace qui a décidé de mettre toutes ses forces dans la bataille. Après une dizaine d’années de lutte contre la Commission et la Cour de justice, cette dernière lui refusant un droit d’agir et les déboutant systématiquement, les ONG ont récemment pu obtenir du Conseil la pleine reconnaissance de leur droit à un accès effectif à la justice européenne inscrit dans la Convention d’Aarhus, lorsqu’il s’agit de dossiers environnementaux. À un bémol près : elles doivent tout d’abord passer par la case Commission au lieu d’aller en justice directement comme peuvent le faire les États membres dans les mêmes circonstances. Ce qui fait que le 8 Septembre dernier, toutes les filiales européennes de Greenpeace ainsi que Greepeace European Unit et son équipe de juristes de choc, ont envoyé une demande formelle à la Commission (internal review), lui demandant de revenir sur sa décision, appelée en jargon européen « un acte délégué complémentaire ». Greenpeace argumente que l’inclusion du nucléaire et du gaz dans la liste des énergies vertes viole la réglementation sur la taxinomie, les lois européennes sur le climat et les obligations liant l’UE partie prenante à l’accord de Paris de 2015. La Commission a jusqu’au mois de février pour se prononcer. Si elle se rend aux arguments de Greenpeace et retire le gaz et le nucléaire de sa liste verte, tout ira bien, explique l’ONG . Sinon, elle ira devant le Tribunal européen puis s’il le faut en pourvoi devant la cour. Encore des années de combat. À noter aussi qu’en mai 2021, la ministre autrichienne de l’Action verte et du Climat, Leonore Gewessler, présentait une proposition de réforme du traité Euratom sur le nucléaire. Faisant déjà son deuil des aides d’État désormais autorisées, elle expliquait qu’il faut maintenant intégrer dans ce traité des règles plus strictes sur la sécurité, le démantèlement des centrales et de stockage définitif des déchets nucléaires.

Dominique Seytre
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