CinEast

Le corps sublimé

d'Lëtzebuerger Land vom 28.10.2022

Un anniversaire de plus à son actif. La quinzième édition du Festival CinEast s’est clôturée le week-end dernier avec la traditionnelle cérémonie de remise des prix et la projection de The Happiest Man in the World (2022), de la réalisatrice et présidente du jury international Teona Strugar Mitevska. Découvert à la Mostra de Venise, ce film a su séduire le public par son sujet traité avec sensibilité et pudeur, où le corps-vestige d’Asja, femme de 45 ans encore endolorie par une précédente histoire d’amour, rejoint ce pays-vestige qu’est l’ex-Yougoslavie, aujourd’hui atomisé en patries lourdes de souvenirs et de ressentiments (lors d’un speed dating, on reproche à Asja de ne pas être Serbe...). Pour l’un comme pour l’autre, le poids de l’histoire immobilise, mortifie au lieu de vitaliser. Un fardeau qui empêche d’aller de l’avant.

Surprise de cette édition, aucun prix n’est venu récompenser R.M.N., le dernier film de Cristian Mungiu. À se demander si la féroce critique de la mondialisation que celui-ci formule à travers le microcosme d’un village de Transylvanie ne s’est finalement pas retournée contre lui. Toujours est-il que le jury international a préféré le film réalisé par le duo hongrois formé par Anna Eszter Nemes et László Csuja, Gentle. Avec un style minimaliste et un montage précis, le long-métrage exalte une beauté inédite, hybride, condensée, impliquant une approche plus complexe de chaque être humain. « Par son observation très tendre et patiente, la réalisatrice ouvre une porte sur un univers que nous connaissons très peu, sur un personnage que nous avons rarement vu sur grand écran. Voilà un film qui remet en question notre vision de la beauté, et propose un autre type de beauté, et sans aucun jugement, on en tombe amoureux. », a déclaré lors de la cérémonie Teona Strugar Mitevska. Ce corps est celui d’Edina, une femme bodybuilder, prête à tout sacrifier pour le rêve qu’elle partage avec son partenaire et entraîneur Adam, devenir Miss Olympia. Nul doute que Viktor Orban, l’actuel président postfasciste de la Hongrie, va adorer l’élection de cette Miss Olympia !

Le Prix Spécial du Jury est allé quant à lui à 107 Mothers de Peter Kerekes, où la question de la maternité s’introduit dans un établissement pénitentiaire d’Odessa. Cette thématique pour le moins viscérale vient à elle-seule contrebalancer les conditions concentrationnaires du milieu carcéral et y apporter une touche d’émotion. La cinématographie claustrophobe renforce la puissance du récit de ces 107 femmes et autant d’enfants. Du Jury de la presse, Geoff Thompson a remis le Prix de la Critique à Christina Tynkevych, la réalisatrice How is Katia ?, expliquant ce choix pour des raisons politiques notamment, la dénonciation de la corruption en l’occurrence. Céline Schlesser s’est chargée de distinguer la singularité de The Uncle, de David Kapac and Andrija Mardešić, lauréat du Prix Jeunes talents dont l’histoire dépouillée oscille entre humour noir et thriller. Après dépouillement des votes des spectateurs, le film Sonata de Bartosz Blaschke – où un jeune homme compense son handicap par l’excellence musicale – remporte le Prix du public. Rappelons enfin que les festivités se prolongent en ligne jusqu’au 6 novembre sur la plateforme CinEast Online Cinema : un bon rattrapage pour découvrir ou revoir les films primés de cette année 2022.

Loïc Millot
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