Chroniques de l’urgence

La soupe qui fâche

d'Lëtzebuerger Land vom 21.10.2022

Just Stop Oil est un groupe de désobéissance civile créé en février 2022 au Royaume-Uni dont le nom parle de lui-même : il s’agit de faire en sorte que le gouvernement britannique cesse d’octroyer de nouvelles licences d’exploitation d’hydrocarbures, qui correspondent selon lui à « une politique obscène et génocidaire qui va tuer nos enfants et condamner l’humanité aux oubliettes ».

Adepte des coups d’éclat, il a depuis interrompu des compétitions sportives de haut vol et bloqué des terminaux, des stations-service, des pétroliers ou des ponts, mais a aussi visé des œuvres d’art. En juillet, à la National Gallery, des militants du mouvement se sont collés au tableau The Hay Wain de John Constable, un des tableaux anglais les plus connus.

En jetant le contenu d’une conserve de soupe de tomate sur les fameux Tournesols de Vincent van Gogh, dans le même musée, vendredi dernier, (sans l’endommager car il est protégé par une vitre), en se collant une main au mur et en expliquant leur geste par l’acuité des crises climatique et du pouvoir d’achat, deux jeunes femmes membres du collectif ont réussi à générer un écho planétaire et des débats passionnés sur les réseaux sociaux. Dans un tweet orné d’une palette de peintre, Just Stop Oil a expliqué : « La créativité et le génie humains sont mis en valeur dans ce musée, mais notre héritage est détruit par l’inaction de notre gouvernement face au climat et à la crise du coût de la vie ».

Sans surprise (haters gonna hate), ceux qui nient l’urgence s’en sont trouvés confortés dans leur détestation des écologistes, évoquant la valeur astronomique du tableau (plus de 80 millions de dollars), comme s’il avait été détruit, et conspuant des militantes taxées d’irresponsables.

Mais, plus intéressant, l’action a aussi provoqué une discussion intense, parfois acrimonieuse, parmi ceux qui s’engagent pour l’action climatique. L’argument principal de ses détracteurs étant qu’elle risquait d’être contre-productive. Le grand public n’ira pas plus loin que les titres (tronqués) des journaux et sera tenté de tourner le dos à la nécessité d’arrêter les énergies fossiles – et ce à un moment où il est impératif de forger les majorités les plus larges possibles pour y parvenir, ont-ils fait valoir.

En face, les deux jeunes femmes ont eu droit à des applaudissements fournis pour avoir réussi à lancer une discussion jugée salutaire. Les actions de sensibilisation entreprises jusqu’ici n’ayant pas porté leurs fruits puisque nous restons sur une trajectoire cataclysmique, il faut avoir le courage de mettre les pieds dans le plat, ont insisté ceux intervenant en leur faveur. « Une des énormes ironies est que si nous ne nous ne parvenons pas à traiter la crise climatique et écologique (..), tous ces tableaux seront perdus à jamais », a commenté le photographe naturaliste Stephen Barlow, qui dans sa bio Twitter précise être né « à 314 ppm ».

Jean Lasar
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