Si Jo Kox n’avait pas été un amateur de marathons, on n’aurait peut-être pas de Nuit des musées au Luxembourg. L’anecdote peut prêter à sourire, mais la genèse de l’événement est bien là. En allant à Bonn courir un marathon en avril 2001, celui qui est devenu Premier conseiller au ministère de la Culture a découvert la Nuit des musées, la veille de la course, dans l’ancienne capitale allemande. « La première Nuit des Musées avait en fait eu lieu à Berlin en 1997. Depuis lors, près de 150 villes européennes ont sauté le pas pour permettre un rapprochement en douceur entre musées et publics », rappelle-t-il. Le tout jeune groupement « d’stater muséeën », dont l’objectif était d’abord d’harmoniser les programmes et les horaires des musées membres pour améliorer les services au public, et dont le même Jo Kox était le coordinateur, a été d’emblée désigné pour organiser cet événement. Les cinq musées que comptait la capitale à ce moment-là (le Mudam et le Dräi Eechelen n’étaient pas encore ouverts) ont embrayé le mouvement. Avec pas loin de 6 000 visiteurs lors de cette première édition de 2001, on peut dire que l’initiative a été un franc succès. Les années suivantes ont confirmé l’engouement pour cette manifestation avec une fréquentation dépassant les 15 000 visiteurs lors des années fastes, « alors qu’une ville comme Munich, par exemple, a comptabilisé 20 000 visiteurs en 2013 », compare Jo Kox.
Pourtant, l’idée de départ ne faisait pas trop l’unanimité ou du moins était considérée comme audacieuse voire révolutionnaire : la mission d’un musée est de collectionner, préserver, présenter des œuvres, pas d’organiser des événements, de faire venir musiciens, comédiens ou danseurs, encore moins la nuit ! Certains membres du personnel étaient aussi réticents à travailler à des « horaires de bistrot ». Mais le succès et l’enthousiasme du public, la qualité de la programmation artistique ont eu raison des récalcitrants. Cela correspond à une tendance profonde pour les musées de proposer autre chose que des expositions et de jouer la carte de l’événement pour attirer un nouveau public. Un public qui, dans le meilleur des cas, reviendra de jour ou visitera d’autres musées. « La Nuit des musées ne fait que confirmer ce que la recherche affirme depuis des décennies : la médiation basée sur l’événement est redoutablement efficace si l’on vise à rétablir les liens perdus entre un passé apparemment statique et une réalité contemporaine et immédiate », confirme l’initiateur.
Au fil des années, les organisateurs se sont escrimés à ne pas répéter les mêmes programmes et à trouver de nouveaux artistes à inviter, de nouveaux espaces à faire découvrir, de nouvelles collaborations à tisser. « Il fallait faire du musée le décor d’une culture qui a lieu en direct ». Pour les artistes invités, la Nuit des musées a souvent été un tremplin, une occasion de se montrer devant un public, certes pas toujours très attentif, mais souvent plus jeune, qui ne fréquente pas forcément les lieux de culture. La commande leur imposait de réaliser une création inédite, généralement en lien avec ce qu’il y avait sur les murs. Plusieurs artistes de talent (musiciens, danseurs, performeurs et autres), débarqués tout fraîchement sur la scène locale, ont ainsi pu célébrer leurs débuts à l’occasion d’une des Nuits des musées. La liste des artistes participants depuis vingt ans est longue de six pages et nous rappelle des noms qui ont parcouru bien du chemin depuis. Les musées et centres d’art du Luxembourg connaissent un net rajeunissement de leurs visiteurs et la Nuit des musées n’est pas étrangère à cette évolution. « Les années où il y avait des élections le dimanche, on note la présence de plus de jeunes parce qu’ils rentrent de leurs études pour voter », s’amuse Jo Kox. Toujours est-il que beaucoup de jeunes se sont rendus pour la première fois au musée (en dehors des sorties scolaires) lors de ces événements et on peut parler d’une « génération nuit des musées ».
Il y a un côté un peu magique à la « Nuit » parce qu’on semble braver un interdit, aller là où on ne va généralement pas, rencontrer des gens à qui on n’aurait pas parlé, découvrir, débattre. On se confronte à des personnes qui ne pensent pas (forcément) comme nous, dans un esprit festif et convivial pour « cesser, le temps d’une soirée, de froncer les sourcils ».Et si ça se termine à 3 h du matin dans la cave du Casino, c’est encore mieux… Mais ça c’était avant.