Découverte de Fadhila, un spectacle fort et émouvant, texte et mise en scène d’Aristide Tarnagda, figure majeure du théâtre burkinabé

La vie et l’espoir comme remparts

d'Lëtzebuerger Land vom 05.12.2025

Publiée chez Actes Sud, Fadhila, la dernière pièce d’Aristide Tarnagda, a été créée en septembre aux Francophonies de Limoges. Elle est coproduite par le TNL qui a également accueilli une résidence de l’équipe artistique. Un beau collectif composé entre autres de deux comédiens et trois comédiennes au jeu sensible dont Safoura Kaboré qu’on avait applaudie cet été dans son propre texte, Noces, au Fundamental Monodrama Festival (Land du 20.06.2025).

Les pièces d’Artstide Tarnagda sont toujours saisissantes, on se souvient notamment de Terre rouge présentée aussi, au Fundamental en 2022. Avec Fadhila, l’auteur prend à bras le corps l’actualité et s’appuie sur l’Histoire et le mythe. Il dénonce la guerre, le terrorisme et la barbarie, évoque le sort des enfants-soldats sous le joug de crapuleux chefs de gangs. La pièce parle aussi de politique (inter)nationale et d’exactions, cite des figures historiques comme Thomas Sankara, aborde l’exil et ses souffrances. L’auteur interroge la famille, la perte du père, la perte des repères pour l’enfant, l’attente de la mère ou encore la séparation de la fratrie. Il questionne surtout la résistance et l’espoir dans un monde de violence.

Fadhila est un texte théâtral aux ramifications plurielles, il est à la fois pamphlet, ode, poème, sa langue est puissante et symbolique, ses mots imagés et forts, ses paroles directes et crues quand elles ne sont pas voilées par le souvenir ou recréées par le rêve. La pièce a la couleur du conte, la profondeur de la tragédie et la dimension du mythe, elle tend à l’universel.

est celle de Fadhila (Safoura Kaboré dans un rôle de femme à la fois dure et douce), mère qui a élevé seule ses deux fils, abandonnée par les hommes de sa vie, femme brisée mais qui résiste. Elle raconte, fait surgir le passé, fait revivre ses proches. Romaric, le père, qui l’a quittée, après avoir été licencié par son usine et depuis « pas un mot » (ce qu’elle dit aux enfants). Il a rejoint l’Europe et erre, tel un fantôme, dans un exil de solitude et de misère (une voix off raconte). Abdou (François Copin), le fils aîné, qui a passé son enfance à le rechercher : « Tout ce que je désirais au monde », dit-il. Face aux silences de sa mère, il finira par trouver un substitut de père en la figure d’un chef de gang, deviendra Abdou le sniper, ralliera les terroristes pour faire la guerre, pour « avoir la paix » croit-il. Aziz (David-Minor Ilunga), le fils cadet, qui reproche à sa mère « ses mots durs », qui attend le retour du frère, veut rejoindre l’armée pour lutter contre les djihadistes. Mais alors que le crime approche de ses enfants, Fadhila, dans un dernier combat pour l’empêcher de partir à la guerre, commettra l’irréversible… À la fin, seule sur son rocher, elle danse et invoque sa « petite étoile », son fils, Aziz.

Dans une mise en scène sobre, Aristide Tarnagda fait résonner les mots, laisse le plateau aux personnages campés avec grande justesse par les comédiennes et comédiens. Si ces derniers endossent plusieurs rôles, il y a aussi dans le spectacle la figure d’une narratrice (Romane Ponty Bésanger) qui met en exergue l’histoire. Belle idée de mise en scène renforcée par sa présence en voix off et sa présence au sein d’un vibrant ensemble (avec Fadhila et Madame Gombo), chœur qui dit la résistance féminine et la nécessité du collectif.

Tout au long du spectacle, les atmosphères changent, on est entre tension et relâchement, entre cris et rires, entre révolte et effondrement. On passe d’une scène du quotidien (préparation du repas) à une scène de violence (menaces des jeunes terroristes), de la dernière nuit d’amour entre « petite terre » (Fadhila) et « petite pluie » (Romaric) à la rupture entre Fadhila et Abdou. On passe des confidences de la mère à un fils (« maintenant je peux te montrer le visage de ton père ») aux fous rires de Fadhila et de Madame Gombo (Yaya Mbilé Bitang), sa voisine qui finira par « se débarrasser de ses yeux » car « il n’y a plus rien de beau à voir ».

Pour ce spectacle, le metteur en scène s’est entouré de Marie Pierre Bésanger, complice de longue date, qui en signe la belle scénographie. Sur le plateau noir dépouillé, trois énormes rochers se hissent tels des menhirs ou des tombes dans un no man’s land de cailloux et de sable. Dans cet espace minéral, seuls quelques objets existent, des ustensiles de cuisine essentiels aux mères, l’indispensable radio de Madame Gombo pour garder le contact avec son fils, un bouquet de fleurs rouge, des lampes à huile… De belles lumières mais aussi musiques, chants et sons bien caractérisés renforcent les vibrants tableaux. Fadhila est un éloge de la vie et un espoir porté par des femmes qui, refusant la guerre et la violence, posent en remparts l’amour et la solidarité.

Karine Sitarz
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