À l’initiative des associations Finkapé, Ral et Time for Equality Kweni, une trentaine de femmes afro-descendantes se sont réunies, le 8 février au Cid-femmes et genre, en non-mixité. Objectif : partager leur vécu et difficultés au Luxembourg. Antiracisme et afro-visibilité pour « la grève des femmes » du 7 mars prochain, ces femmes semblent déterminées à envoyer balader sexisme et « charge raciale ».
Autour de la politologue Belgo-Congolaise Modi Ntambwe, Bruxelloise très active sur le terrain des droits humains depuis 2007, les Luxo-Capverdiennes Antonia Ganeto, Jennifer Lopes Santos (membres de Finkapé) et Rosie Rodrigues (Amizade Cabo-verdiana) ainsi que la Luxo-Camerounaise Ghislaine Tchuisseu (Kweni).
« Tout commence avec la Déclaration sud-africaine de Durban, en 2001, qui a reconnu l’existence d’un racisme structurel envers les noirs », démarre Modi Ntambwe. « Les États ont tous été interpellés pour faire quelque chose et, notamment, mettre en œuvre un ‘Plan National contre le racisme’. 19 ans plus tard, ce plan n’existe toujours pas en Belgique... » Premier éclat de rire. Libérateur. Ce ne sera pas le dernier. Antonia Ganeto fait immédiatement le parallélisme avec le Luxembourg et sa « situation alarmante », démontrée lors de la conférence Being black in Luxemburg, le 13 novembre 2019. Trois mois plus tard : « Celle-ci n’a encore connu aucune suite au niveau politique », déplore l’activiste.
La Décennie afro-descendante
Constatant l’immobilisme politique européen envers la lutte contre la négrophobie structurelle, un groupe d’experts de l’Onu auprès des communautés afro-descendantes a fini par décréter « La Décennie afro-descendante » (2014-2024). Mais Ntambwe s’empresse d’ajouter : « Peu de gens, y compris les premiers concerné-e-s, en sont informés, et quasi rien n’a été fait ! En Europe, seuls deux pays ont lancé officiellement cette Décennie, avec des années de retard (Les Pays-Bas en 2016, la Belgique en 2019)... ». Ici aussi, Ganeto décrit un mimétisme grand-ducal, en rappelant la récente interpellation d’un parlementaire (déi Lénk) à l’adresse de l’Exécutif luxembourgeois pour lui signifier « qu’en pleine décennie des personnes d’ascendance africaine, personne n’est au courant et, dans différents domaines, rien n’est fait pour changer la donne au Luxembourg »...
« Il s’agit de reconnaître que nous avons plus difficile que d’autres groupes à accéder et jouir de nos droits, poursuit Modi Ntambwe. C’est donc la grande idée de la Décennie afro-descendante : faire reconnaître ces mécanismes structurels d’exclusion et initier des dynamiques réparatrices, que nous avons portée, afin que les afro-descendants occupent enfin une place représentative dans la société ».
Pédagogie et activisme. Mais quid du nerf de la guerre ? « Pour améliorer les choses, il faut aussi placer de l’argent au bon endroit », répond Ntambwe. « Et ça, c’est le rôle des Autorités de chaque pays ! Le groupe d’experts des Nations-Unies a chiffré ce financement à un milliard de dollars par continent ; soit cinq milliards de dollars dans le monde entier. Mais jusqu’ici, aucun État n’a payé... ». Soupirs et rires nerveux traversent l’assistance. Le chemin sera long. « Venons-en aux femmes ! », relance avec enthousiasme Antonia Ganeto.
Si plusieurs participantes ont tenté de valoriser leur biculturalisme à travers leur parcours de vie, Jennifer Santos, elle, regrette ses réflexes « d’hyper-adaptation ». Notamment face aux remarques ou vexations négrophobes l’amalgamant à une Indienne adoptée par des parents blancs. « Apparemment, l’Indienne adoptée ça passe mieux qu’une Luxembourgeoise aux parents cap-verdiens, note amèrement Jennifer. Je suis reconnaissante envers les efforts de mes parents, mais aujourd’hui ce mot ‘Intégration’ m’insupporte : ça suffit ! », s’exclame l’artiste-activiste.
« Intégration » : assez !
En écho, Myriam Abaied, Luxo-Tunisienne, rebondit : « Je me suis reconnue dans ce qu’a dit Jennifer, dans cette obligation constante à devoir hyper-s’adapter à ces micro-agressions qui nous mènent vers le burn out ». Exagération ? Aucune des trente femmes présentes ne contredira ce propos. Bien au contraire. Luxo-Rwandaise, Edwige précise : « Cette colère en nous, c’est ce qu’on appelle la charge raciale. Nous devons l’affronter au quotidien, à l’extérieur, mais aussi dans un environnement concurrentiel et de méfiance entre afro-descendants. Il y a chez nous trop de tabous et pas assez de partage. Or, nous devons pouvoir discuter de nos tabous, de nos faiblesses, des risques de schizophrénie et de burn out. Nous devons nous fédérer, nous faire confiance et, pour ce faire, ce genre de réunion me donne de l’espoir ! »
Chacune à leur façon, ces Luxembourgeoises afro-descendantes sont exaspérées d’être systématiquement renvoyées à leur capacité d’intégration. Car, en réalité, c’est la plupart de leurs interlocuteurs blancs qui n’ont toujours pas « intégrer » ou accepter les Luxembourgeois aux racines africaines. « Notre société a beaucoup de mal avec le fait d’avoir plusieurs identités, enchaîne Fatima. À l’éternelle question : ‘D’où tu viens ?’, je réponds difficilement par un seul mot. Souvent, je dis : ‘Luxembourgeoise, Marocaine, Française, féministe et têtue’ », lâche la jeune femme, déclenchant hilarité et soutiens féministes. « Il ne faut pas se laisser mettre dans une case et je remercie les organisatrices de cette conférence qui a permis de nous trouver, d’échanger et de garder espoir », conclut Fatima.
Finalement peu critiqués durant les trois heures de conférence, une jeune afro-luxembourgeoise s’en prend aux hommes afro-descendants : « Les Noirs n’arrivent pas à travailler ensemble et les rares qui parviennent à monter socialement ne veulent pas tirer les autres vers le haut ». « Ce n’est pas en pleurant sur notre sort qu’on va améliorer les choses ! », lance une autre du fond de la salle. Antonia Ganeto en profite pour dérouler sa feuille de route en vue de « La grève des femmes » du 7 mars : « Il faut identifier nos priorités et besoins, trouver des budgets et formuler des revendications d’une seule voix. Et cette voix doit passer par les femmes ! », insiste l’activiste sous un tonnerre d’applaudissements. Tandis qu’approbations se mélangent aux sourires, Modi Ntambwe ajoute : « Oui, il faut s’unir et c’est ce siècle ou jamais ! »