Renaissance

d'Lëtzebuerger Land vom 23.02.2024

Situé à Habay, à moins d’une heure de route de Luxembourg, le Château du Pont d’Oye est célèbre pour avoir été la propriété de la famille Nothomb – celle de l’ancien ministre belge Charles-Ferdinand et de l’autrice Amélie, pour ne citer que les membres de la famille les plus connus. Il y a encore une dizaine d’années, des résidences accueillaient des écrivains de langue française où plusieurs Luxembourgeois participaient. Jusqu’à 2019, des fêtes de mariages et autres célébrations familiales y étaient organisées. Mais l’entretien d’une telle demeure coûte cher et la famille, très endettée et désemparée devant l’état de délabrement du château s’en détourne. Aujourd’hui, après cinq ans et près de huit millions d’euros d’investissement, l’endroit rouvre ses portes.

Le lieu chargé d’histoire accueille à nouveau des clients, grâce au mécénat de Vincent Gouverneur et la ténacité de l’architecte d’intérieur Diane Matgen. Associé gérant chez Deloitte Luxembourg, Vincent Gouverneur est né dans la région et, comme tous les gens du coin, connaît bien le château du Pont d’Oye et la forêt d’Anlier qui l’entoure. En recevant des journalistes, il raconte qu’on lui a proposé d’acheter le château alors qu’il cherchait une propriété forestière pour sa famille dans les Ardennes. « Cela ne correspondait pas du tout à mes recherches, mais je l’ai quand même visité, par curiosité. » Il constate alors un état de délabrement avancé. « Les murs pleurait, des arbres poussaient dans la toiture éventrée. »

Vincent Gouverneur, sans encore savoir dans quoi il s’embarque, sent comme une mission de redonner vie à ce château. Pas flambeur pour un sou, il réfléchit à une manière de rentabiliser les lieux. Il mise sur la réouverture d’un hôtel (douze chambres actuellement), avec un lieu pour les mariages, les séminaires, des team buildings. À cela s’ajoute déjà sur le site, un gîte de six chambres. D’importants projets pour augmenter l’attrait et la capacité d’accueil sont sur les rails. Une partie wellness et sport ne devrait pas tarder, mais surtout des logements insolites dans le parc où vivent aussi des castors, cols verts et hérons sont à l’étude.

Pas besoin de faire des efforts pour la notoriété : le nom est connu et l’endroit plaît. La remise en état de la vaste demeure a été une autre paire de manche. Un défi financier d’abord, car le Pont d’Oye était géré par une société anonyme « criblées de dettes, sur la liste noire des banques », résume le nouveau propriétaire. Il ne peut donc pas emprunter et les aides publiques lui sont refusées parce que – curieusement – le château n’est pas classé comme monument historique. « J’ai dû vendre une autre propriété alors que mon but étaut d’en acheter une ».

Le défi architectural est de taille aussi « pour retrouver l’âme » du château. Diane Matgen s’installe sur place pendant toute la durée du chantier pour « l’apprivoiser », décrit-elle. L’architecte d’intérieur travaille avec des artisans locaux pour trouver les bons matériaux, les bonnes couleurs et le savoir-faire spécifique. Ainsi, Peinture Robin recrée un mélange pour retrouver la couleur de la façade. Un compagnon du devoir, Guillaume Guérain à réalisé le travail sur la charpente. Dans l’ensemble, la rénovation est précise, de bon goût et sensible. Elle redonne au lieu un lustre longtemps oublié.

Quand en 2021, Amélie Nothomb a publié Premier Sang, le roman qu’elle dédie à son père, le Château du Pont d’Oye n’était plus tout à fait en étant de déliquescence mais pas encore à nouveau habitable. Elle raconte, dans ce qui sont parmi les meilleures pages du roman, comme était le Pont d’Oye, quand le baron Pierre Nothomb, poète désargenté, y régnait, sur une tribu qui fait à Patrick, le père d’Amélie, l’effet d’une « horde de Huns ». On manque d’argent et Pierre, se sert toujours en premier et ne laisse que des miettes à son épouse, et les miettes des miettes à sa progéniture. « Au Pont d’Oye, on pratique le darwinisme pur et dur », écrit-elle.

L’histoire du Pont d’Oye n’a pas commencé avec les Nothomb, elle remonte même au 17e siècle quand a commencé l’exploitation du bois, de l’eau et du minerai d’alluvion pour développer une petite industrie métallurgique. On y fabriquait entre autres des taques de cheminée, dont certaines sont encore présentes au château. L’activité a prospéré et le domaine est devenu une seigneurie avec un château et un moulin. Le moment le plus raconté (et fantasmé) de l’histoire du Pont d’Oye est au 18e siècle quand le domaine a échoué à Charles-Christophe du Bost-Moulin. Il a épousé Louise-Thérèse de Lambertye, qui est devenue la Marquise du Pont-d’Oye, figure légendaire et sujet de nombreux ouvrages littéraires. Mais les frasques de la marquise et les difficultés financières du domaine ont mené le couple à la ruine.

À la Révolution française, le site a été pillé et grandement détruit. Il fut reconstruit au 19e siècle par le baron Vauthier de Baillamont, puis repris par la Société des Hauts-Fourneaux du Luxembourg en 1837. En 1932, le château est racheté par Pierre Nothomb. Vu sa double carrière politique et littéraire, il y recevait avec beaucoup : des hommes influents, des personnalités royales ou des écrivains comme Francis Jammes, Georges Bernanos, François Mauriac, Edmée de La Rochefoucauld, Maurice Genevoix et tant d’autres. Lui-même écrivit : « À Bruxelles, on exigeait de moi une politesse permanente ; au Pont d’Oye, toutes les impolitesses étaient tolérées et sitôt oubliées ». Pierre Nothomb est d’ailleurs enterré sur le site, près de l’étang.

France Clarinval
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