Les neuf vies de Kid Colling

Caroline Martin
Photo: Kid Colling sur la scène de la Rockhal
d'Lëtzebuerger Land du 23.02.2024

Tous les moyens sont bons pour gérer la pression qui précède une montée sur scène. Certains prient, se prennent dans les bras ou se dépensent. D’autres encore, comme Leonard Cohen ou Claude François, avaient l’habitude de boire du whisky quelques minutes avant le grand saut. Lorsqu’on demande à Kid Colling s’il a un rituel d’avant concert, il réfléchit longuement et n’en trouve aucun. Le musicien est à l’aise sur toutes les scènes, petites et grandes, et il aime trop ça pour ressentir de la nervosité. Toutefois, en ce vendredi 9 février au soir, les circonstances sont quelques peu particulières et le plus réputé des bluesmen luxembourgeois de sa génération ressent une légère appréhension. Avec sa formation, le Kid Colling Cartel, il présente au public local le fruit de plusieurs années de travail. Un album intitulé Living on the Wild Side, paru le jour même sur le label Rock’n’Hall. Tandis que la salle se remplit peu à peu au son de la musique de San-Ho-Zay, qui assure la première partie du show, Kid Colling briefe ses musiciens.

Stéphane « Kid » Colling est un miraculé. Son histoire touchante, on la connaît. C’est celle d’un orphelin né à Bogota, adopté par un couple de luxembourgeois et qui, en traînant dans un bar de Clervaux, a fait la rencontre de la musique blues, qui a changé sa vie. « N’importe quel bluesman te dira la même chose. Le blues n’est pas une musique que tu choisis. Elle te choisit toi. Tu ne peux pas l’expliquer, c’est un ressenti ». Adolescent, comme la plupart des gamins de son âge, il écoute Nirvana, Rage Against the Machine ou encore le Wu-Tang Clan. Il écrit d’ailleurs des textes de rap et songe à en pratiquer sérieusement. Mais voilà, un jour il entend un solo de Luther Allison et trouve sa vocation. On se l’imagine alors arpenter tous les bars du nord au sud, sa guitare sur le dos. Mais en vérité, la première fois qu’il monte sur une scène, c’est sur le tard, et dans une disposition clairement trop ambitieuse pour ses frêles épaules d’alors.

Nous sommes en 2009, il a 25 ans et sa première formation Ousiders mood est invitée à jouer à Weiswampach lors d’un évènement de charité organisé par les Harley Brothers, un club de motards. « J’ai déconné (rires). J’avais B.B. King en tête donc j’ai ajouté une section cuivre, plusieurs guitares, une chanteuse, la totale ». Le jeune compositeur se heurte alors à un public peu expressif. « J’avais l’impression qu’ils applaudissaient par pitié ». Il sera rassuré par l’organisateur, satisfait, mais sait qu’il devra faire mieux. En 2012, il fonde son Cartel qui va écumer douze années durant le circuit local pour devenir une référence luxembourgeoise en matière de blues rock alternatif. Aujourd’hui la formation se compose du bassiste David Franco, du batteur Florian Pons et du claviériste Alex Logel. La Grande Région, ils en fait le tour. Leur objectif est clairement l’exportation à l’international.

Kid Colling s’est rendu un jour sur ce carrefour aux fins fonds du Mississipi où, d’après la légende, le grand Robert Johnson aurait pactisé avec le diable pour devenir le plus grand guitariste de son temps. Cette pensée avait alors effleuré l’esprit du luxembourgeois, mais il n’a pas fait la rencontre espérée. Aujourd’hui, si l’occasion de présentait, il y réfléchirait à deux fois. Il vient d’être père et a perdu le sien il y a quelques années. Ces évènements changent un homme. 2023 a en outre été l’année qui lui a amené une certaine stabilité, notamment en travaillant deux jours par semaine au Hariko d’Esch-sur-Alzette où il s’occupe du volet musical. Pour autant, sa principale occupation professionnelle reste celle du développement de son Cartel. « Je vois aussi ma musique comme une entreprise. C’est beaucoup d’investissement en matériel et en formation et apprentissage. Puis ça coûte une blinde de sortir un album... ». Il ne voit pas la paternité comme un frein à sa carrière, mais à l’inverse, comme un motif de motivation supplémentaire.

Retour à la Rockhal où son public fidèle découvre le nouvel opus. Pour l’occasion, Laurent Pisula, un second guitariste est venu prêter main forte au groupe. Leur duo créé des étincelles. Plus d’une heure durant, le Cartel interprète une partie de son répertoire. Le blues traditionnel et rural a laissé place à une musique sauvage et, il faut le dire, reconnaissable. L’album a été en partie composé lors d’un séjour de trois mois à la Nouvelle-Orléans, et cela s’entend. Pour autant, contrairement aux projets précédents, certaines compositions comme El Gato apportent une couleur hispanique à l’ensemble, pour une sorte de retour aux sources inédite. L’histoire de ce morceau vaut d’ailleurs le coup d’être lue.

Un matin de 2017, un homme découvre dans le journal l’annonce d’un concert de fatsO, un blues band colombien en pleine tournée européenne, et qui est de passage à la Coque. Il découpe l’article et le glisse sous la porte de son fils. Ce fils, c’est Kid Colling, qui s’empresse de prendre contact avec le management du groupe. Il est invité au show et fraternise avec son leader, Daniel Restrepo a qui il rendra visite à deux reprises à Bogota. La musique étant essentiellement le fruit de belles rencontres, Restrepo est en featuring sur El Gato, un morceau aussi entrainant que personnel, qui dénote dans la discographie du Cartel. Kid Colling y conte son histoire sur des notes de ukulélé. L’histoire d’un chat, un gato, qui retombe toujours sur ses pattes malgré tous les coups durs. Un clip de ce morceau, qui a le potentiel d’un hit a d’ailleurs été tourné en Colombie. Il devrait sortir au printemps. On dit qu’un chat a neuf vies. Lorsqu’on demande à Kid Colling s’il en est encore à sa première, il réfléchit longuement. « Je me suis déjà retrouvé dans différentes histoires dignes de films d’action... De vies, j’en ai carrément utilisé quelques-unes, mais il m’en reste encore assez. »

Kévin Kroczek
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