Damien Deroubaix et Aleksandra Chaushova, expriment tous les deux de subtiles violences chez Nosbaum Reding

La peinture comme arme

Mutti, au centre de l’exposition
Foto: MB
d'Lëtzebuerger Land vom 23.02.2024

Non, Damien Deroubaix ne s’est pas assagi. Utilisant ses techniques habituelles, peinture, xylogravure, collage, il semble néanmoins qu’on assiste à un tournant par rapport à la colère qui habite sa production, malgré l’actualité tragique – et elle est sombre actuellement en Ukraine et au Proche-Orient.

En allant voir Damien Deroubaix & Guests à la galerie Nosbaum Reding, certes la couleur dominante est le rouge. Mais sa production nous a visuellement paru plus paisible. Autour d’une toute petite œuvre qui occupe le centre de la galerie : Mutti, (2023) un plâtre peint qui reproduit la Vénus préhistorique de Höhle Fels en Allemagne. Elle est tenue par une tige de fer et posée sur un socle en bois brut.

À croire que son exposition la Valse d’Orphée au Musée de la chasse et de la nature (2021) – où Deroubaix a appris cette technique de présentation de la sculpture – est un tournant dans la mise en espace centrale de la femme fertile, gironde, reproductrice de l’espèce. Si on pense par exemple à Picasso et Moi au Mudam en 2016, où il avait exprimé toute la rage d’homme qui l’habitait depuis qu’il avait vu pour la première fois, à 19 ans, la douleur de Picasso en 1937, exprimée après le bombardement de Guernica. À Paris, sculpter les animaux venus de la nuit des temps, plonger le visiteur dans le bleu nuit des grottes, requérait une approche autre : un hymne à la vie.

Aujourd’hui à 52 ans, on retrouve certes son esthétique trash dans Lucyd Farytale, toile anti-business (huile et collage) peinte cette année, la référence à l’expressionnisme allemand, dans Golgotha – à noter que les crucifiées sont des femmes. Les pieuvres, serpents, chauve-souris, animaux associés, à la nuit, à la mort on les retrouve dans Live after death/Tournesols.

Un hommage à Vincent Van Gogh, l’artiste jamais satisfait, solitaire et suicidé, sous la forme d’un bouquet où les fleurs forment une danse macabre – voici la référence moyenâgeuse de Deroubaix. Et le petit rhombicuboctaèdre, rappel du polyèdre à 26 faces de Léonard de Vinci : la Renaissance, autre citation récurrente du peintre, se trouve au pied de Guest for Fire.

Celle qui semble être une Vierge en majesté, est sans doute une de ces femmes que l’on brûlait, accusées de sorcellerie… Mais où donc est cet apaisement dont nous parlions au début ? Peut-être ferions-nous mieux de parler de connaissance de plus en plus approfondie et de l’histoire de l’art et des avancements de la science. Ce que nous avions pris pour des totems sont, nous apprend-on, des « bâtons de conteur ». Comme celui surmonté d’une pieuvre (bois de tilleul, de buis et encre), animal dont on n’a pas fini d’explorer l’intelligence et dont les jets d’encre, seraient un mode de communication.

Mais voici aussi des bouquets de fleurs de Deroubaix, étrangement classiques, disposés au centre du tableau, qui représentent des iris (Iris et Norway in September (2023 et 2024) parmi la deuxième partie de l’exposition, Damien Deroubaix & Guests. La découverte, ce sont les petits formats de Fritz Bornstück. À l’expression toute simple, mais qui révèlent un talent certain dans la technique d’assemblage : feuilles en toile découpée peintes, collées en relief sur le fond du tableau et fleurs en bouchons de tubes de peinture. Une espèce vénéneuse est bien sûr aussi invitée dans l’exposition. Ainsi la guirlande de Datura de Camille Fischer, (technique mixte sur papier, 2021), décorative à la manière arts & crafts britanniques, un peu décadente.

À la Projects Room voici dix tableaux de grand format, au fond uniforme rouge, bleu, vert, comme les objets représentés dans les mêmes couleurs vives, mais pastel d’Aleksandra Chaushova. D’usage courant comme la paire de ciseaux, le pied à coulisse, les pinces, contemporains comme les câbles de recharge pour voiture électrique. Les coupe-cigare témoignent d’un loisir coûteux. Plus luxueux encore, les briquets guilloché pour l’un stream line pour l’autre, sont littéralement à double tranchant, comme le titre de l’exposition. Fine Blades Pleasures.

Aleksandra Chaushova, qui vit et travaille à Bruxelles, est née à Sofia en Bulgarie en 1985. Si certes les coupe-cigare peuvent suggérer des têtes de canard ou ressembler à un papillon de nuit, il ne faut pas oublier que ces objets sont des guillotines. Le pas est donc vite franchi entre plusieurs niveaux de lecture des plaisirs. Ceux des hédonistes et ceux des tortionnaires…

Marianne Brausch
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