Luc Frieden place Jean-Paul Olinger aux Contributions directes et Nicolas Mackel à la Représentation permanente

Personnel Is Policy

Luc Frieden et Nicolas Mackel,  il y a deux semaine au Forum de la BEI
Photo: Sven Becker
d'Lëtzebuerger Land du 23.02.2024

« Personnel is policy », telle était la maxime de la contre-révolution reaganienne. Luc Frieden semble s’en inspirer. L’ancien président de la Chambre de commerce vient de placer le directeur de l’Union des entreprises et le directeur de Luxembourg for finance à deux postes stratégiques de l’appareil d’État. Jean-Paul Olinger devient directeur de l’Administration des contributions directes (ACD), tandis que Nicolas Mackel se retrouve à la tête de la Représentation permanente à Bruxelles. Le Conseil de gouvernement les a nommés ce mercredi, Luc Frieden annonçant la nouvelle lors d’un briefing de presse au château de Senningen, son lieu favori pour réunir ses ministres et la presse.

Le Luxemburger Wort avait sorti le premier l’info : Le « Finanzplatz-Hardliner » Nicolas Mackel serait pressenti pour le poste à Bruxelles. Une nouvelle qui ne semblait pas ravir l’ensemble du corps diplomatique. Mackel est pourtant issu du sérail. Il n’a jamais officiellement quitté la carrière diplomatique, mais était simplement détaché. Un fait qu’il rappelait fréquemment, comme en juin 2022 au Land : « Prenez les Paul Helminger, les Nicolas Schmit, les Pierre Gramegna et les Yuriko Backes, la diplomatie est un vivier où vous pouvez trouver des gens de qualité, motivés, compétents, qualifiés pour défendre les intérêts de l’État ». Nicolas Mackel a travaillé à la Représentation permanente, avant de rejoindre l’ambassade à Washington (où il était le no 2), puis de prendre le poste de consul général à Shanghai en 2011.

En juillet 2013, Luc Frieden le choisit pour diriger son agence de promotion, Luxembourg for Finance. Propagandiste plutôt que lobbyiste, Mackel fait preuve d’un certain talent médiatique. Dans son répertoire fixe, on trouve la critique d’« une école française qui est issue d’un coin intellectuel dont la seule réponse sont les impôts, les impôts, les impôts. » Ou les Luxembourgeois qui ne seraient pas assez « fiers » de la place financière, « vielleicht, weil ihr Verhältnis zu Geld ungeklärt ist ». Avec « Ons Finanzplaz », une campagne qu’il voulait « pédagogique », Mackel essayait de remédier à la chose.

L’ancien lobbyiste bancaire Jean-Jacques Rommes a sauté à la rescousse de Mackel ce jeudi : « Nicolas Mackel est l’homme de l’État délégué vers le secteur financier, non pas l’homme du secteur financier délégué vers l’État. » Après onze ans de bons et loyaux services, celui-ci se retrouve à un des postes les plus prestigieux de la diplomatie luxembourgeoise. L’accord de coalition donne la ligne, c’est celle que Mackel défend depuis toujours : « La représentation diplomatique du Luxembourg doit être organisée de manière efficace pour défendre au mieux nos valeurs et intérêts. La diplomatie économique devrait par exemple permettre de soutenir la consolidation et le développement de la place financière luxembourgeoise. »

La promotion de Jean-Paul Olinger paraît plus atypique. Il est le premier directeur de l’ACD à ne pas être issu du ministère ou de l’administration. Faut-il le congratuler ou le plaindre ? Le lobbyiste patronal prendra la tête d’une administration plongée dans une crise profonde, en sous-effectif chronique et sous pression politique constante. Nommée par Pierre Gramegna, Pascale Toussing avait été poussée vers la sortie par Yuriko Backes. (Elle aura au moins terminé son mandat de sept ans.) La directrice de l’ACD avait aliéné à la fois les Big Four (qu’elle a toujours tenus à distance) et une partie de son propre personnel. Bref, elle s’est retrouvée totalement isolée. Reporter avait relevé en octobre dernier « la gestion catastrophique », le « climat toxique » et le « malaise et la frustration » régnant au sein de cette administration. Et de noter : « La responsabilité est toutefois collective, Pascale Toussing étant entourée d’un comité de direction qui a cristallisé l’animosité d’une bonne partie des agents du fisc. »

La solution externe devait paraître comme la seule issue possible pour marquer la rupture avec l’ère Toussing. Le comité de sélection a en tout cas retenu OIinger, une proposition adoptée « à l’unanimité » par le conseil de gouvernement, disait Frieden ce mercredi. L’annonce a irrité certains. Déi Lénk la qualifient d’« éhontée » dans un communiqué ce jeudi : « Luc Frieden a introduit le loup dans la bergerie. » Le Premier ministre a pris soin de le présenter sous une autre lumière : « Den Här Olinger ass virun allem Fiscalist duerch an duerch ».

Directeur de l’UEL depuis sept ans, Jean-Paul Olinger a fait figure de lobbyiste téflon, toujours courtois et avenant. Né en 1978, fils d’un ingénieur Arbed, il a grandi à Bettembourg, fréquenté le Stater Kolléisch (section D), puis étudié à HEC Lausanne. Après ses études, il entre chez KPMG au département « tax », où il se spécialise dans la fiscalité des banques et des fonds. Face au Land, il disait en 2018 avoir également fréquenté le bureau de Marius Kohl pour soumettre des rulings. Il revenait à l’affaire Luxleaks et son traitement médiatique : « Dans notre économie et dans notre gouvernement il y a beaucoup d’expertise. Je me demande si on n’aurait pas pu leur accorder un peu plus de crédit an hinnen d’Partie halen [se mettre de leur côté]. »

Parmi ses missions : Rendre l’administration plus accueillante envers les « clients ». Luc Frieden a évoqué le « grand et permanent chantier » que constitue la digitalisation. La tâche s’annonce herculéenne : L’informatisation accuse au moins une décennie de retard. L’individualisation des impôts mettra également la pression sur Olinger (qui n’est pas spécialiste en matière de fiscalité des personnes physiques). Mais le nouveau directeur devra d’abord apaiser et stabiliser l’administration.

La nomination montre que le pool de recrutement n’est pas bien profond. Il fallait trouver un fiscaliste de nationalité luxembourgeoise prêt à renoncer à une partie de son salaire. Jean-Paul Olinger n’a jamais dirigé une grande équipe (l’UEL comptant une petite vingtaine de salariés), il se retrouvera à diriger une administration comptant un millier de fonctionnaires.

Bernard Thomas
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