édito

ADR-Télé

d'Lëtzebuerger Land du 23.02.2024

Il a suffi de 90 secondes pour que, le 23 novembre dernier, la Chambre des députés approuve, à main levée, la désignation de Tom Weidig (ADR) comme son représentant au sein de la « Commission de suivi de la convention portant sur la prestation du service public luxembourgeois en matière de télévision ». Ce fut rapide car il était le seul candidat, proposé par la Conférence des présidents, selon le règlement de la Chambre. La commission de suivi se réunit « au moins deux fois par an ». Elle a principalement pour mission de contrôler si RTL remplit les conditions pour obtenir un financement public notamment le respect des règles déontologiques et des exigences de contenu. Un seul député y siège, aux côtés du Commissaire de gouvernement et de « personnes désignées par le ministre des médias ».

La Chambre fait ainsi cadeau à un député de l’opposition d’un des rares postes de contrôle du média le mieux doté du paysage luxembourgeois. Auparavant, et depuis 2020, ce rôle était dévolu à la députée écologiste Djuna Bernard, dans la majorité, donc. Par ailleurs, il est de tradition de réserver trois sièges au conseil d’administration de CLT-UFA à des députés. Sièges généralement partagés entre les chefs de fractions de la majorité et de l’opposition. Gilles Baum (DP) vient d’être rejoint par Marc Spautz (CSV) et Taina Bofferding (LSAP) en remplacement de Claude Wiseler et Yves Cruchten.

La nouvelle mission de Tom Weidig fera-t-elle évoluer la position de l’ADR vis-à-vis des médias en général et de RTL en particulier ? Pendant la campagne électorale, le parti a beaucoup joué les Caliméro, estimant que les médias « mainstream » ne leur donnaient pas assez la parole ou n’avaient pas une attitude bienveillante à leur endroit. Dans plusieurs interviews, les candidats, Fred Keup en tête, fustigeaient les « journalistes de gauche, éloignés des gens ». L’ADR, en particulier son ancien député et ancien porte-parole en matière de politique médiatique, Roy Reding, a souvent regardé d’un œil critique le soutien de l’État à RTL. Cependant, le parti populiste avait voté en faveur de la loi de financement du service public de télévision à hauteur de 97,6 millions pour la période couverte par la convention : 2024-2030 liant RTL et l’État. En mai 2022, le texte avait été adopté par 52 voix pour et deux abstentions venant des deux députées de Déi Lénk.

En janvier, Carlo Kirsch, trésorier de la section ADR Nord et candidat aux législatives a lancé une pétition demandant « l’annulation de l’accord entre l’État et la CLT-UFA » et la « suppression de toutes les subventions de l’État à RTL ». Il justifie cette demande en estimant que la chaîne ne remplit pas son obligation d’être « une source d’information indépendante et neutre ». Parmi les signataires : des candidats ADR aux municipales comme Alex Rasquin ou aux législatives comme Pierrot Simon et Krystyna Gawlik.

La semaine dernière, sur Facebook, Tom Weidig a volé au secours de RTL. Il a écrit que la pétition était « contraire à la ligne du parti » puisque le parti avait voté le soutien à la chaîne. Ce post a valu au député une vague de commentaires négatifs et d’incompréhension. Mais le député tient bon. Il considère que RTL « fait beaucoup pour notre langue » que sans RTL, « nous pourrions perdre une grande partie de notre identité ». Il répond aux commentaires « ce n’est pas parfait et de nombreux journalistes sont délibérément contre nous ». Mais surtout il ne voit « pas d’alternative » à RTL Télé, si ce n’est une « Télévision 100komma7 » qui « doit être évitée ».

Et c’est bien ce que l’ADR craint : un audiovisuel public engagé en faveur de la démocratie. Partout, l’audiovisuel public est critiqué par les partis populistes ou d’extrême droite. Au minimum depuis Trump, les médias sont globalement décrédibilisés en faveur des réseaux sociaux, portes ouvertes aux fake news. En Allemagne, l’AfD voudrait privatiser ARD et ZDF. Marine Le Pen en avait fait un thème de sa campagne électorale de 2022 considérant que « la privatisation d’un audiovisuel public permettra de consolider le secteur audiovisuel privé qui subit la concurrence de plateformes aux moyens considérables ». En Italie, un nouveau directeur proche de Fratelli d’Italia a été nommé à la tête de la Rai. Dans les JT, déjà, les temps de parole des différentes formations politiques paraissent déséquilibrés, au bénéfice des partis au pouvoir.

L’avenir de l’audiovisuel public, notamment après 2030 et la fin de la convention ne figure pas dans le programme gouvernemental. Il ne semble pas non plus intéresser la plupart des partis qui ne l’évoquaient pas dans leur programme (à l’exception du LSAP). Dans le programme électoral de l’ADR, il était demandé que « les médias bénéficiant d’aides à la presse accordent une place aux opinions qui ne correspondent pas à leur propre ligne éditoriale ». Tom Weidig va pouvoir surveiller RTL mais qui va surveiller Tom Weidig ?

France Clarinval
© 2024 d’Lëtzebuerger Land