Avec le plan Mattei, la première ministre italienne Giorgia Meloni (Fratelli d’Italia) veut renforcer les relations entre son pays et l’Afrique. Reste à voir s’il marque le début d’un rapprochement prometteur ou s’il s’agit uniquement de promesses pour servir ses propres intérêts néocolonialistes

« Un pont pour une croissance commune »

d'Lëtzebuerger Land du 16.02.2024

Durant le sommet Italie-Afrique des 28 et 29 janvier à Rome, la première ministre italienne d’extrême droite Giorgia Meloni a dévoilé le plan de développement du gouvernement pour l’Afrique. Il s’agissait d’un événement important auquel ont, entre autres, participé 23 chefs d’États et de Gouvernements de pays africains ainsi que divers dirigeants de l’UE, parmi lesquels Ursula von der Leyen. Meloni a déclaré que le sommet avait été une réussite.

Le plan Mattei (Piano Mattei) avec une dotation initiale de 5,5 milliards d’euros – dont trois milliards ont été prélevés sur le fonds climatique – vise selon le gouvernement italien à améliorer l’éducation, la santé, l’agriculture et l’approvisionnement en eau et en énergie en Afrique. Il constitue le pilier principal de cette nouvelle relation. Selon Giorgia Meloni, il servirait à créer des emplois en Afrique par le biais de « projets pilotes » dans certains « pays pilotes », comme l'amélioration des services sanitaires en Côte d’Ivoire ou le développement de puits et de réseaux d’eau en République démocratique du Congo. Ces projets ont notamment pour but de créer des opportunités pour les jeunes, ce qui devrait décourager les nombreuses migrations vers l’Italie. Le gouvernement italien avait déjà, en partie pour la même raison, conclu avec le soutien de l’Union européenne, des accords avec d'autres pays, comme avec la Tunisie, le 16 juillet dernier . Giorgia Meloni voudrait répliquer ces initiatives avec d’autres nations. 

Et tandis que la Première ministre a souligné qu’il s’agirait d’une « collaboration d’égal à égal », entre l’Afrique et l’Italie, il semble pour l’instant que les souhaits et besoins des peuples africains n’aient pas été au centre des discussions. En effet, ceux-ci aimeraient avoir plus de transparence sur de cette nouvelle collaboration et être davantage inclus dans l’élaboration du plan. C’est ce qui est ressorti dans le discours de Moussa Faki Mahamat, le président de la Commission de l’Union africaine. Il a déclaré que les pays africains auraient aimé être informés à l’avance des divers projets et que les nombreuses promesses proférées devraient maintenant se transformer en actions. À ses côtés se sont présentés, quinze chefs d’État, huit chefs de gouvernement, onze ministres africains, ainsi que les dirigeants de l’UE, des représentants de l’UNESCO, de l’ONU, de l’UNICEF et d’autres organisations internationales. Manquait cependant au tableau le pays africain le plus peuplé : le Nigéria. Parmi les autres absents également cinq pays de la« Ceinture de coups d’État » : Le Burkina Faso, la Guinée, le Mali, le Soudan et le Niger. 

Le plan Mattei tire son nom d’Enrico Mattei, le fondateur de l’Eni (Ente Nazionale Idrocarburi, soit société nationale italienne des hydrocarbures). À la fin des années cinquante, l’Eni était devenue aussi puissante qu’elle fut surnommée « l’État dans l’État ». En brisant l’oligopole des principales compagnies de production de pétrole, dénommées les Sept Sœurs, Mattei a contribué au boom économique italien des années 1950-1960. Il y était parvenu en initiant, entre autres, des accords avec les pays producteurs les plus pauvres. Sa formule consistait à partager équitablement les profits. Même si la motivation derrière le nom du plan italien est officiellement celle de collaborer avec l’Afrique de manière non « prédatrice », le nom a été perçu précisément à l’opposé par certains participants du continent. Ils considèrent que ce nom évoque une présence étrangère, suscite la méfiance et évoque une intention quelque peu néocolonialiste.

Il n’est pas étonnant que l’un des principaux piliers du plan Mattei soit l’énergie. En effet l’un des projets pilotes consisterait en la production de biocarburants au Kenya. Ceci laisse entrevoir l’ambition de l’Italie de vouloir trouver une nouvelle source d’approvisionnement en énergie sûre et de servir ainsi de plaque tournante entre l’Afrique et l’UE. 

De là sont parties les critiques de l’opposition, qui avait d’ailleurs voté contre l’approbation du plan Mattei. Des 300 voix de la Chambre des Députés, les 119 voix négatives proviennent de l’opposition. Elle le considère comme étant une stratégie qui vise à exploiter les ressources naturelles de l’Afrique. L’ex Premier ministre et Président du parti italien Cinque Stelle, Giuseppe Conte, a déclaré lors d’une émission télévisée, que si le plan voulait dire « valoriser et chercher à améliorer l’approvisionnement énergétique en gaz de l’Italie, ce serait un retour vers le passé et qu’on ne réussirait pas à réguler le flux migratoire, parce qu’historiquement, l’investissement dans le fossile n’avait apporté que corruption, instabilité politique et plus de pauvreté au lieu d’améliorer les conditions ».

Les pays africains avaient d’ailleurs sollicité, outre davantage d'inclusion dans l’élaboration du plan, l’interruption des financements publics internationaux des combustibles fossiles et de se concentrer sur l’adaptation à la crise climatique. Ils veulent une coopération plus concrète pour atteindre ces objectifs et réussir à faire une réelle transition énergétique et ainsi réduire voire cesser l’exploitation des combustibles fossiles.

Bien que certaines initiatives soient déjà en cours pour permettre le développement de l’énergie propre en Afrique et que Giorgia Meloni affirme que le plan Mattei servira à compléter ces mesures, il faut noter que parmi les participants au plan se trouvent également des institutions financières publiques telles que le SACE, l’agence spéciale de crédit à l’exportation (Sezione speciale per l’Assicurazione del Credito all’Esportazione). Ceci pourrait être préoccupant, sachant que c’est grâce à la SACE que l’Italie est le sixième pays financeur de projets fossiles à l’étranger et le premier en Europe. En effet, en novembre, à seulement deux mois du sommet Italie-Afrique, diverses associations telles que WWF, Action Aid et ReCommon avaient sollicité le gouvernement pour interrompre les financements publics aux énergies fossiles qui proviendraient principalement de la SACE. 

Parmi les membres du comité de pilotage du Plan Mattei figureront également les représentants d’entreprises publiques. Sans surprise, l’Eni, qui génère plus de la moitié de ses profits en Afrique, en fait partie. Il est donc légitime de se demander si le plan Mattei vise vraiment à une croissance mutuelle, comme l’affirme Giorgia Meloni, si à la tête de cette initiative se trouvent les multinationales qui en tireront le plus de profit ? Peut-être qu’inclure davantage les pays africains dans l’élaboration du plan permettrait au plan Mattei d’aboutir réellement à un pont à double sens entre l’Italie et l’Afrique.

Sara Montebrusco
© 2024 d’Lëtzebuerger Land