La masse de déchets d’emballage progresse plus vite que la population. Malgré la collecte et le tri, leur valorisation reste peu rentable

Itinéraire d’un sac bleu garni

21 kilos de déchets dans les sacs bleus par an  et par habitant
Photo: Sven Becker
d'Lëtzebuerger Land du 05.09.2025

Bouteille de soda, canette de bière, flacon de shampoing, barquette de glace, pot de yaourt, carton de jus d’orange, bidon de lessive, conserve de sardines, film d’emballage, gobelet, couvercle, capsule… Le contenu de nos sacs bleus reflète nos habitudes de consommation et la quantité de déchets que nous produisons croît plus vite que la population, notamment à cause des achats en ligne et à emporter. En 2024, Valorlux a collecté 14 199 tonnes de déchets dans les sacs bleus (13 798 tonnes en 2023), soit près de 21 kilos par habitant. Plus largement, si l’on ajoute le verre, le carton et le bois qui n’entrent pas dans les sacs bleus, chaque personne génère près de 100 kilos d’emballages par an (95,5 kg exactement)

Une fois récoltés, que deviennent ces déchets ?

Depuis 1994, une directive européenne a instauré l’obligation de reprise. Les entreprises qui mettent des emballages sur le marché doivent en assurer le retour, la collecte, le traitement et la valorisation, en respectant des pourcentages de recyclage fixés annuellement. Plutôt que de gérer ces obligations individuellement, les responsables d’emballages se sont regroupés en organisations capables de « valoriser les déchets d’emballage de façon centralisée et solidaire », explique Claude Turping, directeur de Valorlux, l’asbl fondée dans ce cadre, en 1995.

Le fonctionnement de ces organismes se répète dans les différents pays européens, même si leurs noms varient (Fost Plus en Belgique, Grüner Punkt en Allemagne, Citeo en France ou Valipac aux Pays-Bas). Les membres payent une cotisation proportionnelle au volume et au type d’emballages mis sur le marché. Parmi les près de 1 500 adhérents, on retrouve non seulement les industriels qui fabriquent et emballent, mais aussi les importateurs de produits emballés et les commerçants qui conditionnent devant le consommateur (vente à emporter, magasins de bouche…). Une contribution minimale de 50 euros s’applique à ces derniers, qui représentent 39 pour cent des membres.

Les tarifs du « Point Vert » dépendent des coûts de la collecte et de tri, ainsi que des recettes issues à la vente des matériaux d’emballages collectés. Ainsi, le kilo de verre, facile à recycler, était facturé 0,0201 euro en 2024 ; alors que les films, beaucoup plus complexes à traiter coûtaient 0,5413 euro par kilo. Dix pour cent des membres déclarent 90 pour cent du poids total des déchets d’emballages déclarés.

Le sac bleu, à destination des ménages a vu le jour en 1996. Bouteilles en plastique, canettes ou briques en carton n’atterrissent plus dans les poubelles ordinaires (grises) et rejoignent le tri et le recyclage. Depuis 2018, la liste des produits admis s’est considérablement élargie. « On a ajouté 5 000 tonnes, mais on a baissé d’autant les déchets non triés et non valorisés », détaille Claude Turping. Toutes les communes du pays participent aux collectes, soit par leurs propres services ou par un prestataire externe privé.

Une fois collectés, les sacs bleus prennent la route vers Bech-Kleinmacher chez Hein (selon la distance, ils transitent d’abord chez Lamesch à Bettembourg ou à Holzthum). « Les camions passent par la pesée à leur arrivée, puis après le déchargement. On calcule ainsi les volumes entrant, soit entre 30 et 60 tonnes par jour », détaille Tobias Wilhelm, directeur d'exploitation. Le travail de Hein consiste à trier différentes « fractions » selon les critères fixés par Valorlux et les repreneurs. « Pour garantir la recyclabilité, aucun mélange ne doit subsister. D’où l’importance du tri ».

Aujourd’hui, les installations sont largement automatisées, mais Wilhelm se souvient des débuts : « On ouvrait les sacs avec des cutters ». Le simple aimant pour séparer la ferraille et le tamis de six centimètres pour évacuer les petites pièces (bouchons et capsules), ont progressivement laissé place à des outils sophistiqués, capables de détecter et séparer les multiples matériaux.

Le processus démarre par un tri de taille : seuls les déchets entre 6 et 30 centimètres poursuivent leur chemin. Ensuite, des convoyeurs filent à trois mètres par seconde. Le trieur optique identifie les produits en fonction de son paramétrage, tandis que des valves projettent de l’air comprimé pour séparer une matière précise, comme le PET transparent. Le reste glisse vers un autre convoyeur programmé pour un autre matériau. Une cascade de tapis roulants s’enchevêtrent dans un fracas assourdissant. D’autres dispositifs complètent la chaîne pour d’autres produits : un séparateur à courants de Foucault extrait l'aluminium et une soufflerie dissocie les films des autres plastiques. « Depuis leur autorisation dans les sacs bleus, les films représentent presque un cinquième des déchets. Ils posent un défi majeur car des objets qui s’y accrochent et certains emballages écrasés s’envolent aussi dans la soufflerie », ajoute Tobias Wilhelm. Après le séparateur balistique, le contrôle à la main demeure indispensable.

Les matériaux triés subissent ensuite un compactage en ballots d’un mètre cube environ, pour faciliter le transport. « Il faut trente mètres cubes de PET pour faire un ballot », note le directeur d’exploitation. Le tout est expédié chez différents repreneurs dans les pays limitrophes. Une quarantaine d’entreprises spécialisées récupère cette matière. Le recyclage des emballages plastiques suppose un seuil de rentabilité autour de 25 000 tonnes. Le Luxembourg n’en produit que 3 000. L’industrie locale ne peut donc pas traiter ces flux. La seule filière qui soit rentable ici, est celle de l’acier. Les résidus compactés sont acheminés chez Arcelor Mittal à Differdange qui utilise l’acier recyclé pour la production de poutrelles, de palplanches et de rails.

Le PET représente près d’un quart des déchets. « Parfaitement recyclable, il n'est pas encore recyclé à ce stade », précise Claude Turping chez Valorlux. Chez les repreneurs comme Paprec Plastiques en Bourgogne, la matière subit broyage, lavage, séchage et un tri supplémentaire. Les granulés obtenus se transforment ensuite en fil ou s’injectent dans des moules pour donner une nouvelle forme. Une partie revient même au Luxembourg : l’usine Plastipak de Bascharage fabrique ainsi des préformes et des emballages aptes au contact alimentaire.

Restent les résidus de tri, exclus des treize fractions recyclables : les « fines » (pièces trop petites), les plastiques noirs, les emballages composites comme les sachets de chips, emballages sandwich, dans lesquels un film plastique est collé sur du papier, ou certaines bouteilles dites full sleeve, les barquettes de viande, ou encore les résidus organiques. Le taux de refus atteint actuellement douze pour cent en moyenne dans le pays. « Sans disposer du détail par commune, on constate une qualité moindre des sacs issus des grandes villes », souligne le directeur de Hein. Il incrimine les modes de vie dans des immeubles marqués par « moins de contrôle social »: difficile de savoir qui a glissé « des cochonneries » dans un sac refusé. Malgré tout, Tobias Wilhelm juge le Luxembourg globalement bon élève, comparé à l’Allemagne ou à la France, où les refus atteignent parfois trente à cinquante pour cent. Ces déchets restants après tri sont envoyés chez Lamesch. Ils sont broyés, homogénéisés, puis transformés en combustible de substitution pour les cimenteries. On parle de valorisation thermique.

Tous les emballages ne constituent pas nécessairement une ressource. Derrière le mot « valorisation » se cache souvent une équation déficitaire. « Le circuit qui va de la collecte au tri, puis à la commercialisation du matériel, n’est pas un business rentable », insiste Claude Turping. Avec des coûts de collecte et de tri aux alentours de 600 euros la tonne, il faut investir cinq euros pour récupérer une matière qui se vend un euro en moyenne. Le PET ou l’aluminium se vendent bien, même si les prix fluctuent beaucoup : 520 euros la tonne pour le PET et 791 pour l’aluminium, actuellement. Mais d’autres affichent des valeurs négatives. Valorlux débourse 223 euros par tonne de film PE. « La collecte et le tri nous ont coûté 12 millions l’année dernière. En gros, nous avons vendu pour 3 millions de matériaux. La différence provient des cotisations des membres », poursuit-il.

Croissance de la population, changement d’habitudes de consommation (essor du e-commerce, multiplication de la vente à emporter) et meilleure sensibilisation au tri : ces trois facteurs expliquent l’augmentation de la quantité de déchets d’emballage. Pour les réduire, il en va de la volonté politique aux niveaux européen et luxembourgeois.

La loi « Null-Offall-Lëtzebuerg », portée par l’ancienne ministre de l'Environnement Carole Dieschbourg (Déi Gréng) prévoyait notamment un système de consigne pour les contenants réutilisables et l’interdiction des emballages jetables dans les restaurants à emporter et les services de livraison. Le changement de majorité lui a été fatal. Plusieurs aspects contraignants de la loi ont été annulés ou reportés, comme l’interdiction des emballages jetables lors des manifestations postposée à 2026. Le nouveau Plan national de gestion des déchets et des ressources (PNGDR), en cours d'élaboration, est soumis à une enquête publique. Comme souvent avec les « plans », il affiche des objectifs ambitieux pour 2030 en matière de taux de recyclage pour chaque type de déchet, mais est relativement muet sur les moyens à mobiliser et les sanctions en cas de manquement.

La filière des emballages réutilisables demeure embryonnaire et ne conduit pas à une réduction notable des déchets d'emballage. Selon Zero Waste Europe, un tel système ne peut fonctionner que si les contenants restent faciles d’utilisation pour les consommateurs (accessibles, gratuits, disponibles) et peu contraignants pour les exploitants (pas plus de travail, de coût ou de stockage que les emballages jetables). « Le gouvernement précédent a négligé de préparer l’interdiction des articles jetables en mettant en place un véritable système de réutilisables en collaboration avec le secteur de la restauration, entre autres », écrit le Mouvement écologique dans son bulletin de janvier 2025.

Le projet pilote du gobelet Spin, lancé en 2023 par Valorlux a fait long-feu. « Tant qu’une alternative à usage unique gratuite est disponible et autorisée, le réutilisable a peu de chance de percer », admet Claude Turping. En revanche, il souligne le succès des Éco-sacs, lancés en 2004 : « Depuis son introduction sur le marché, le sac de course réutilisable a permis d’économiser 1,63 milliard de sacs en plastique à usage unique, contribuant ainsi à une économie de 11 126 tonnes de plastique ». On notera cependant que 2 millions de ces sacs (fabriqués au Vietnam) sont vendus aux supermarchés chaque année. Un chiffre stable qui correspond à trois par an et par habitant, bien plus qu’il n’en faut pour les réutiliser pendant les dix prochaines années. « Nous conseillons de vendre les grands modèles à 1,35 euro. Au-delà, les consommateurs risquent de se tourner vers le sac de dépannage à usage unique à quinze centimes. »

Pour l’avenir, la priorité consistera à minimiser la production de déchets à la source plutôt que de les traiter une fois qu'ils ont été créés. Reduce plutôt que reuse :

France Clarinval
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