Visité par plus d’un million de visiteurs l’année dernière, le festival Constellations offre une programmation éclectique. De jour, de nombreux sites de la cité mosellane accueillent des propositions tournées vers les arts urbains. De nuit, ce sont plutôt les arts numériques qui ont été retenus pour illuminer la ville et en mettre plein la vue. Tout cela, gratuitement et avec une attention particulière à la dimension inclusive de l’événement. Ce qui se traduit notamment par des facilités d’accès pour des personnes en mobilité réduite, des visites guidées en langue des signes, sans oublier le dispositif « Souffleurs d’Images » qui permet à des spectateurs non-voyants (ou malvoyants) d’être accompagnés par des médiateurs pour un parcours adapté.
Commençons par l’aspect diurne de la manifestation qui, malgré l’intérêt inégal des œuvres exposées, a le mérite de mettre en valeur des projets pédagogiques menés auprès de populations de la Grande Région (à Esch-sur-Alzette, Sarrebruck et Metz). Ainsi, le projet transfrontalier Détournements qu’a conduit pendant une année OX, l’un des pionniers du street art qui a fait ses classes auprès des Frères Ripoulin (collectif parisien formé de Jean Faucheur, Claude Closky et Pierre Huyghe). Sa rencontre avec Jean Faucheur, qui l’initie au collage d’affiches sur panneaux publicitaires, est une révélation : « Ces espaces d’affichage publicitaires sont comme d’immenses fenêtres, des tableaux surdimensionnés, suspendus dans la ville », confie-t-il. Des panneaux qui lui procurent tout à la fois un cadre, un support et un contexte urbain dont il s’approprie les codes avec humour. Entre l’automne 2024 et le printemps 2025, plus de quatorze ateliers ont été menés avec 300 personnes issues d’horizons social et culturel variés. Avec le Club Senior de Metz l’artiste a réalisé Fragment d’Azur, un damier bleu transposé à un mobilier de la ville. Les étudiants de l’École des Beaux-Arts de Metz ont produit plusieurs œuvres à proximité du Palais de justice et du plan d’eau, dont cette étonnante Cartographie des livreurs à vélo, un hommage à ces « travailleurs de l’ombre » qui ne bénéficient d’aucun statut, ni d’aucune protection sociale. D’autres établissements de nature sociale ou médico-sociale ont pris part aux festivités, sans hiérarchisation entre les approches esthétique ou socio-culturelle. Mètre et nuancier en mains, des adolescents du Centre social Arc-en-ciel ont investi le quartier Outre-Seille et y ont réalisé cinq installations à l’aide de matériaux de récupération. Il en est de même pour la Maison d’enfant à caractère social de la Fondation Saint-Jean, mais aussi du Service jeunesse de la ville d’Esch-sur-Alzette, dont un groupe d’adolescents a été invité à arpenter la ville pour ensuite se l’approprier par des moyens plastiques et imaginatifs. Plusieurs œuvres dignes du land art ont été produites, où l’on joue sur les apparences et le pouvoir métamorphique de l’art, tels L’arbre barré de Wendy, le Rideau en brique de Gaspar ou encore les Lacets interdits de Lukman, qui détourne habilement les codes des panneaux de signalisation. Un livret et une exposition du projet Détournements consignent cette expérience à la Porte des Allemands (Metz).
À côté de ces installations participatives conçues sur le long terme, de nombreuses œuvres publiques ont trouvé support sur des bâtiments du centre-ville. On y rencontre des personnalités locales, comme ce portrait du poète Paul Verlaine ornant la façade d’un immeuble, mais aussi cette immense fresque en anamorphose où l’on peut admirer, sur plus de 150 mètres carrés, ses lignes et ses couleurs (La Mécanique céleste, de Wose Here, rue de l’Abreuvoir, aux abords de la place saint Louis). Rue Serpenoise, l’exposition Dans l’mur ! réunit des vues que le photoreporter Francis Kochert a pris au cours de ses pérégrinations. On y reconnaît notamment un pochoir de Banksy et une effigie de Pasolini faite à Naples par Ernest Pignon-Ernest. Non loin de là, une vitrine de magasin laissée vacante devient une page noire sur laquelle OX a collecté des fragments d’affiches arrachées dont il n’a conservé que les coins (Le vignettage). Le résultat est à l’image de sa démarche : minimal, facétieux, abstrait. Mentionnons enfin l’installation monumentale qu’arbore la façade de la Porte des Allemands, rythmée par des fils blancs de non-tissé qui se déploie sur l’ensemble de l’édifice médiéval (Métamorphose, 2025). Soit l’occasion rare de se rendre sur sa terrasse, d’où l’on dispose d’une vue imprenable sur le site comme sur l’œuvre de Vortex-X.
Du côté de la programmation nocturne, il y a évidemment le traditionnel mapping qui projette sons et lumière sur la cathédrale Saint-Étienne. Un show très apprécié du public qui vient en nombre y assister. Celui de cette année, Terraforma, mêle au niveau de la bande son des éléments du répertoire (Les Planètes, 1918, de Gustav Holst) avec une exploration futuriste du système solaire sur le plan visuel. Dans le même registre, et en guise de prolongement, un concours international de mapping vidéo a été organisé et dont on peut voir les diverses propositions artistiques au Cloitre des Trinitaires. Au public de choisir le lauréat parmi les cinq artistes en lice. La cathédrale rassemble autour d’elle la plupart des dispositifs audio-visuels de Constellations. Avec Motion, installé dans le Temple Neuf près des rives de la Moselle, Bruno Ribeiro s’empare de la protohistoire du cinéma. Le Galoping Horse de Muybridge, qui date de 1886, est la scène originelle et le motif qu’il reprend à son compte et dont il retrace l’évolution jusqu’à aujourd’hui, du film en couleur à l’avènement de la 3D. À proximité de cette installation, place de la Comédie, un jardin éphémère accueille Wander, de Hayk Zakoyan, où des formes organiques hybrides ont été générées par l’Intelligence artificielle. L’un des clous de cette neuvième édition de Constellations réside à la basilique Sainte Vincent et à l’Hôtel de région. Conçu par Maxime Houot et le collectif Coin, Ataraxie est une structure avec des lasers montés sur des bras articulés ; le résultat, on s’en doute, est spectaculaire et photogénique : des faisceaux de lumière rouge dansant dans l’obscurité redéfinissent notre perception de l’espace. Une installation lumineuse d’Antoine Golschmidt investit quant à elle l’Hôtel de région, en vue de le transformer complètement au moyen de la fibre optique et de prismes de verre. Le public ne s’y est pas trompé. Une fois le mapping de la cathédrale finie, il se rend généralement aux Trinitaires ou à l’Hôtel de région pour y poursuivre ce rêve éveillé.